vendredi 4 mai 2012

Vivants avant la mort !

Quelqu'un disait dernièrement : " Quel immense mystère
que la mort ! " A quoi je répondais : "Quel immense mystère est la

vie ! ". Car nous savons aussi peu de l'une que de l'autre et c'est

précisément parce que la vie est inconnue que la mort est pour nous

un abîme.



Qu'est-ce que nous faisons de notre vie ?



Nous nous cherchons, nous nous fuyons, nous nous rencontrons

par intermittence et nous n'arrivons jamais à boucler la boucle,

à nous définir nous-mêmes, à savoir qui nous sommes. A plus forte

raison ne connaissons-nous pas les autres. 



On n'a pas le temps, la vie passe si vite, on est occupé

par les soucis matériels ou par les divertissements... et finalement la

mort arrive, et c'est devant la mort que l'on prend conscience que la

vie aurait pu être quelque chose d'immense, de prodigieux, de créateur...

Mais, c'est trop tard... et la vie ne prend tout son relief que dans

l'immense regret d'une chose inaccomplie. Et les survivants sont là à

pleurer ceux qui ne sont plus, qui n'ont rien fait jaillir de leur

existence et à la réalisation desquels les vivants ont si peu collaboré.



C'est alors que la mort, justement parce que la vie a été

inaccomplie, apparaît comme un gouffre, comme un mystère insondable qui

fait renaître constamment l'objection : "Mais après tout, aucun des morts

n'est jamais revenu pour témoigner de ce qui se passe au-delà".

Bien sûr, aucun des morts n'est jamais revenu pour témoigner de ce

qu'il aurait vu, et cela ne servirait d'ailleurs de rien.


Ce que nous allons tenter, aussi bien, ne sera pas de

postuler ou d'inventer des choses que nous supposerons exister après

la mort, mais de situer le problème de la mort dans le mystère même

de notre personnalité, à partir de notre vocation de sujet, d'origine

et de créateur.





Si l'expérience de la vie échoue, je veux dire si, souvent,

la vie des êtres les plus aimés nous laisse le regret d'une chose

inaccomplie - que nous n'avons pas suffisamment comprise, à la réalisation

de laquelle nous n'avons pas suffisamment collaboré - c'est que,

justement, la connaissance d'un sujet, d'une intimité, suppose l'enracinement

de notre intimité dans celle d'autrui, une communauté d'âme,

un échange si profond qu'il faut constamment jeter du lest, constamment

se dépasser pour être un espace assez grand pour l'accueillir.


Si nous ne connaissons pas davantage les autres, c'est

parce que nous ne devenons pas autrui, parce que nous sommes enfermés

en nous-mêmes, parce que nous ne savons pas nous dépasser. Alors l'autre

se banalise, il prend cette figure sociale qui répond à sa fonction,

au personnage qu'il s'est forgé, au masque qu'il est contraint de porter.

Nous n'allons pas au-delà, nous ne découvrons pas la source qu'il est appelé à devenir,

nous n'atteignons pas son unicité, parce que nous ne sommes

dignes ni de la connaître, ni de la susciter.


Et toutes les difficultés de connaître un autre, toutes

 ces difficultés resurgissent devant la mort. C'est le

même problème. Comme la vie est impénétrable à qui ne devient pas une

source, un créateur, une personne, une origine, une liberté : la mort

lui est pareillement impénétrable.



Il ne s'agit pas, en effet, de connaître le lieu où nous

irons après la mort, il ne s'agit aucunement d'un après dans le temps

ou dans l'espace, il s'agit d'un au-delà qui est au-dedans . Cela veut

dire qu'il s'agit de vaincre la mort ici-bas, dès aujourd'hui, tellement

que le vrai problème n'est pas de savoir si nous vivrons après la mort,

mais si nous serons vivants avant la mort.

Maurice Zundel



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire