que la mort ! " A quoi je répondais : "Quel
immense mystère est la
vie ! ". Car nous savons aussi peu de l'une
que de l'autre et c'est
précisément parce que la vie est inconnue que
la mort est pour nous
un abîme.
Qu'est-ce que nous faisons de notre vie
?
Nous nous cherchons, nous nous fuyons, nous
nous rencontrons
par intermittence et nous n'arrivons jamais à
boucler la boucle,
à nous définir nous-mêmes, à savoir qui nous
sommes. A plus forte
raison ne connaissons-nous pas les autres.
On n'a pas le temps, la vie passe si vite, on
est occupé
par les soucis matériels ou par les
divertissements... et finalement la
mort arrive, et c'est devant la mort que l'on
prend conscience que la
vie aurait pu être quelque chose d'immense, de
prodigieux, de créateur...
Mais, c'est trop tard... et la vie ne prend
tout son relief que dans
l'immense regret d'une chose inaccomplie. Et
les survivants sont là à
pleurer ceux qui ne sont plus, qui n'ont rien
fait jaillir de leur
existence et à la réalisation desquels les
vivants ont si peu collaboré.
C'est alors que la mort, justement parce que
la vie a été
inaccomplie, apparaît comme un gouffre, comme
un mystère insondable qui
fait renaître constamment l'objection : "Mais
après tout, aucun des morts
n'est jamais revenu pour témoigner de ce qui
se passe au-delà".
Bien sûr, aucun des morts n'est jamais revenu
pour témoigner de ce
qu'il aurait vu, et cela ne servirait
d'ailleurs de rien.
Ce que nous allons tenter, aussi bien, ne sera
pas de
postuler ou d'inventer des choses que nous
supposerons exister après
la mort, mais de situer le problème de la mort
dans le mystère même
de notre personnalité, à partir de notre
vocation de sujet, d'origine
et de créateur.
Si l'expérience de la vie échoue, je veux dire
si, souvent,
la vie des êtres les plus aimés nous laisse le
regret d'une chose
inaccomplie - que nous n'avons pas
suffisamment comprise, à la réalisation
de laquelle nous n'avons pas suffisamment
collaboré - c'est que,
justement, la connaissance d'un sujet, d'une
intimité, suppose l'enracinement
de notre intimité dans celle d'autrui, une
communauté d'âme,
un échange si profond qu'il faut constamment
jeter du lest, constamment
se dépasser pour être un espace assez grand
pour l'accueillir.
Si nous ne connaissons pas davantage les
autres, c'est
parce que nous ne devenons pas autrui, parce
que nous sommes enfermés
en nous-mêmes, parce que nous ne savons pas
nous dépasser. Alors l'autre
se banalise, il prend cette figure sociale qui
répond à sa fonction,
au personnage qu'il s'est forgé, au masque
qu'il est contraint de porter.
Nous n'allons pas au-delà, nous ne découvrons
pas la source qu'il est appelé à devenir,
nous n'atteignons pas son
unicité, parce que nous ne sommes
dignes ni de la connaître, ni de la
susciter.
Et toutes les difficultés de connaître un
autre, toutes
ces difficultés resurgissent
devant la mort. C'est le
même problème. Comme la vie est impénétrable à
qui ne devient pas une
source, un créateur, une personne, une
origine, une liberté : la mort
lui est pareillement impénétrable.
Il ne s'agit pas, en effet, de connaître le
lieu où nous
irons après la mort, il ne s'agit aucunement
d'un après dans le temps
ou dans l'espace, il s'agit d'un au-delà qui
est au-dedans . Cela veut
dire qu'il s'agit de vaincre la mort ici-bas,
dès aujourd'hui, tellement
que le vrai problème n'est pas de savoir si
nous vivrons après la mort,
mais si nous serons vivants avant la
mort.
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