samedi 29 octobre 2011

Horizon

Cela se passait sur la jetée d’Honfleur, le ciel était pur. On voyait très clairement le phare du Havre. Je restai là en tout bien dix heures. A midi, j’allai déjeuner, mais je revins aussitôt après.

Quelques barques s’en furent aux moules à la marée basse, je reconnus un patron pêcheur avec qui j’étais déjà sorti et je fis encore quelques autres remarques. Mais en somme, relativement au temps que j’y passai, j’en fis excessivement peu.

Et tout d’un coup vers huit heures, je m’aperçus que tout ce spectacle que j’avais contemplé pendant cette journée, ça avait été seulement une émanation de mon esprit. Et j’en fus fort satisfait, car justement je m’étais reproché un peu avant de passer mes journées à ne rien faire.

Je fus donc content et puisque c’était seulement un spectacle venu de moi, cet horizon qui m’obsédait, je m’apprêtais à le rentrer. Mais il faisait fort chaud et sans doute j’étais fort affaibli, car je n’arrivai à rien. L’horizon ne diminuait pas et, loin de s’obscurcir, il avait une apparence peut-être plus lumineuse qu’auparavant.

Je marchais, je marchais.

Et quand les gens me saluaient, je les regardais avec égarement tout en me disant : « Il faudrait pourtant le rentrer cet horizon, ça va encore empoisonner ma vie, cette histoire-là », et ainsi arrivai-je pour dîner à l’hôtel d’Angleterre et là il fut bien évident que j’étais réellement à Honfleur, mais cela n’arrangeait rien.

Peu importait le passé. Le soir était venu, et pourtant l’horizon était toujours là identique à ce qu’il s’était montré aujourd’hui pendant des heures.

Au milieu de la nuit, il a disparu tout d’un coup, faisant si subitement place au néant que je le regrettai presque.

Henri Michaux - La nuit remue



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