mercredi 29 février 2012

Rencontres

Ces êtres de dialogue, de partage et de mouvance que nous sommes, vivent de la magie des rencontres, meurent de leur absence. Chaque rencontre nous réinvente illico - que ce soit celle d'un paysage, d'un objet d'art, d'un arbre, d'un chat ou d'un enfant, d'un ami ou d'un inconnu. Un être neuf surgit alors de moi et laisse derrière lui celui qu'un instant plus tôt je croyais être. La rencontre fait résonner en moi des modes et des tons que je n'avais pas perçus jusqu'alors. C'est par la rencontre que dans cet amas diffus, cette nébuleuse que par commodité j'appelle moi, s'éclairent et se regroupent les constellations.

 L'«espace en devenir» qui entoure chaque être et à l'intérieur duquel il peut grandir, se dilater, rayonner, tâtonner, s'élancer, est sacré. Lorsque, sous prétexte d'attachement, on le résorbe, la vie commune se dégrade.

Par un mystère, impossible à élucider, ce sont précisément toutes les rencontres d'une vie qui nous font peu à peu advenir. Chaque rencontre me livre d'une manière, tantôt une lettre, tantôt un mot, tantôt une virgule, un blanc qui, peu à peu, mis bout à bout vont composer le libellé d'un message à moi seul adressé.

Ou mieux encore : chaque rencontre ardente détient une pièce biscornue du puzzle qui finira par me composer une vie et qui, avec la multiplication des pièces disposées, va lentement, dans un dégradé de couleurs, laisser apparaître les grands contours, les grands thèmes de ma destinée. Et ce sont les autres qui me livrent - souvent à leur insu - la clef de mon énigme.

Dans chaque rencontre se révèle un aspect de mon être, un visage secret nage à ma rencontre dans l'eau du miroir. Les rencontres me remettent en mémoire une modalité d'être, une totalité oubliée.
Elles me cherchent, me trouvent sous les masques. Souvent elles me délivrent.

Christiane Singer

Time of No Reply- Nick Drake

Messagère

Graine donnera fleur,
larve papillon,
poème tendresse
pour coeurs blessés !

Il écrit et s'absente,
un souffle et le duvet
va on ne sait où !

Enfant ou grand,
si tu attrapes
cette plume légère,
prends le temps
de la regarder,

cette messagère
d'un secret
plus vieux
que l'univers !

Tout peut arriver,
mais toi,
tu garderas
ton coeur !

mardi 28 février 2012

La joie d'être simple




Simplicité de l'enfant, qui ne juge pas la réalité et se contente de la vivre pleinement, de tout son être, par toute la puissance de son désir, avec toute la lumière de sa joie et la force de sa raison !

Les enfants sont nos plus grands maîtres, et je proposerais bien un renversement politique en instaurant un droit de vote - et de candidature aux élections - seulement pour les moins de 18 ans !

Mais nos enfants sont si conditionnés par la bêtise éducative des adultes qu'ils perdent leur simplicité de plus en plus tôt et qu'il faut souvent attendre la vieillesse pour qu'ils puissent renaître à leur sagesse naturelle.

A quand un parti de la sagesse, c'est-à-dire de l'enfance, pour remettre ce monde à l'endroit et cesser de détruire la sublime beauté de la création ?

Ce parti est déjà là, dans ton coeur d'enfant.
 
Bruno Giuliani

Ma maison - Pia Colombo

Temps anciens


Que de trésors à nos pieds,
De fossiles qui ont
Quelques millions d'années !
Bivalves, coques
Echinodermes, coraux
Là ou je marche
Régnait la mer !
   


L’homme est arrivé
Bien tardivement.
Disparaîtra-t-il
Par son orgueil
Bien trop vite ?


lundi 27 février 2012

Lior - I'll Forget You (feat. Sia) /Superbes ombres !

Pascal Pichaud - Restons dans l'immobilité intérieure...







S’il est une habitude mentale, c’est de tenter d’échapper à la réalité concrète. Au nom d’une insatisfaction, d’un manque ou d’une attente qui semble inacceptable, la pensée en refus va créer un désir : transformer ce qui est.
L’espoir d’un changement va naître et mettre en action le mouvement d’aller vers, faisant perdre à celui qui l’anime, son statut originel d’Immuable. Les qualités naturelles de sérénité et de paix feront place à l’agitation, la nervosité, l’incompréhension et parfois au désespoir.
Ce désir de transformation est un leurre, un choix que le mental inflige. Plutôt que d’accepter ce qui est, il se propose par l’imaginaire de virtualiser l’existence et ainsi évite de la vivre telle qu’elle est.


Sortir de l’immobilité intérieure engendre la tension.

Rester dans l’immobilité intérieure, témoin de ce qui est, permet d’être indépendant d’un mental qui ne cesse de vouloir ce qu’il n’a pas, repousse ce qui lui déplaît et oblige en une course folle à la réalisation des désirs.

Ne transformez rien, ne changez rien, ne bougez plus.
Voyez l’œuvre de perfection s’accomplir d’elle-même.
Contemplez.
Ne cherchez plus à vous transformer, laissez vous transformer.

Pascal Pichaud

Boris Vian, la complainte du progrès


Autrefois pour faire sa cour
On parlait d'amour
Pour mieux prouver son ardeur
On offrait son coeur
Aujourd'hui, c'est plus pareil
Ça change, ça change
Pour séduire le cher ange
On lui glisse à l'oreille
(Ah? Gudule!)

{Refrain 1:}
Viens m'embrasser
Et je te donnerai
Un frigidaire
Un joli scooter
Un atomixer
Et du Dunlopillo
Une cuisinière
Avec un four en verre
Des tas de couverts
Et des pell' à gâteaux

Une tourniquette
Pour fair' la vinaigrette
Un bel aérateur
Pour bouffer les odeurs

Des draps qui chauffent
Un pistolet à gaufres
Un avion pour deux
Et nous serons heureux

Autrefois s'il arrivait
Que l'on se querelle
L'air lugubre on s'en allait
En laissant la vaisselle
Aujourd'hui, que voulez-vous
La vie est si chère
On dit: rentre chez ta mère
Et l'on se garde tout
(Ah! Gudule)

{Refrain 2:}
Excuse-toi
Ou je reprends tout ça.
Mon frigidaire
Mon armoire à cuillères
Mon évier en fer
Et mon poêl' à mazout
Mon cire-godasses
Mon repasse-limaces
Mon tabouret à glace
Et mon chasse-filous

La tourniquette
A faire la vinaigrette
Le ratatine-ordures
Et le coupe-friture

Et si la belle
Se montre encore rebelles
On la fiche dehors
Pour confier son sort

{Coda:}
Au frigidaire
À l'efface-poussière
À la cuisinière
Au lit qu'est toujours fait
Au chauffe-savates
Au canon à patates
À l'éventre-tomates
À l'écorche-poulet

Mais très très vite
On reçoit la visite
D'une tendre petite
Qui vous offre son coeur

Alors on cède
Car il faut bien qu'on s'entraide
Et l'on vit comme ça
Jusqu'à la prochaine fois

Dans la montée

Sur le sentier
Du bois de Parapin
Se tiennent des arbres
Aux branches tourmentées
Et parmi les pierres
Aussi sèches que l’air,
On trouve des racines
Usées par le gel,
La neige et le vent
Et de grandes carlines,
Soleils d’or
Entourés de piquants
Que certains aiment
Clouer aux portes des maisons !

dimanche 26 février 2012

Colette Magny - Gracias a la Vida


Paroles et traduction un peu approximative de Gracias A La Vida

Gracias A La Vida (Merci À La Vie)

Gracias a la vida
Merci à la vie
Que me ha dado tanto
Qui m'a tant donné
Me dio dos luceros
Elle m'a donné deux étoiles
Que cuando los abro
Qui quand je les ouvre
Perfecto distingo
Une parfaite distinction
Lo negro del blanco
Du noir du blanc
Y en el alto cielo su fondo estrellado
Et dans le ciel haut son fond étoilé
Y en las multitudes
Et dans les multitudes
El hombre que yo amo.
L'homme que j'aime

Gracias a la vida
Merci à la vie
Que me ha dado tanto
Qui m'a tant donné
Me ha dado el oído
Elle m'a donné l'ouïe
Que en todo su ancho
Qui dans toute sa grandeur
Graba noche y día
enregistre nuit et jour
Grillos y canarios
Criquets et canaries
Martillos, turbinas, ladridos, chubascos
Marteaux, turbines, écorces, averses
Y la voz tan tierna de mi bien amado.
Et la voix si douce de mon bien-aimé

Gracias a la vida
Merci à la vie
Que me ha dado tanto
Qui m'a tant donné
Me ha dado el sonido
Elle m'a donné le son
Y el abecedario
Et l'alphabet
Con él las palabras
Avec lui les mots
Que pienso y declaro
Que je pense et déclare
"madre, amigo, hermano"
''mère, ami, frère''
Y luz alumbrando la ruta del alma del que estoy amando
La lumiere illuminant la route de l'âme de celui que j'aime

Gracias a la vida
Merci à la vie
Que me ha dado tanto
Qui m'a tant donné
Me ha dado la marcha
Elle m'a donné la marche
De mis pies cansados
De mes pieds fatigués
Con ellos anduve
Avec eux j'ai marché
Ciudades y charcos
Villes et flaques d'eau
Playas y desiertos, montañas y llanos
Plages et désert, montagnes et lac
Y la casa tuya, tu calle y tu patio.
Et ta maison, ta rue et ta cour

Gracias a la vida
Merci à la vie
Que ma ha dado tanto
Qui m'a tant donné
Me dio el corazón
Elle ma donné le coeur
Que agita su marco
Qui agite son cadre
Cuando miro el fruto
Quand je regarde le fruit
Del cerebro humano
Du cerveau humain
Cuando miro el bueno tan lejos del malo
Quand je regarde le bien si loin du mal
Cuando miro el fondo de tus ojos claros.
Quand je regarde le fond de tes yeux clairs

Gracia a la vida
Merci à la vie
Que me ha dado tanto
Qui m'a tant donné
Me ha dado las risas
Elle m'a donné les rires
Y me ha dado el llanto
Et ma donné les pleurs
Así yo distingo
Ainsi je le distingue
Dicha de quebranto
Dite de coupure
Los dos materiales que forman mi canto
Les deux matériels qui forment mon chant
El canto de todos que es el mismo canto
Le chant de tous qui est le même chant
El canto de todos que es mi propio canto
Le chant de tous qui est mon propre chant
¡Gracias a la vida !
¡Merci à la vie !

Marcher, marcher

Marcher, marcher,
sortir de la forêt,
gagner le champ,
rejoindre la lisière,
s'enfoncer plus loin
par le chemin blanc,
arriver au carrefour
de l'arbre mort,
prendre à droite
ou bien à gauche,
s'engager dans la hêtraie,
par le vallon qui s'assombrit,
Ne pas espérer
bordé de sapinières,
voir une clairière,
marcher, marcher,
puis s'asseoir
sur un tronc noir
qui perd son écorce,
ne pas s'attarder
sinon pour écouter
une sitelle torchepot,
repartir toujours
vers l'horizon,
peut-être là
au dernier tournant !

Grève bénie

Les bus étaient en grève,
mais il suffisait de lever la tête
pour élever son état d'âme !
Les nuages bourgeonnaient,
galopaient, s'étiraient,
se coloraient de crépuscule,
et on pressentait même
sur le trottoir nerveux
où s'agitait du monde
le sifflement du silence
de ces grandes masses
de vapeur dans l'espace !
Il n'arrivait pas
à détacher les yeux
de cette cavalerie insaisissable !
Son regard allait plus loin,
plus haut, dans le bleu
qui s'assombrissait,
bleu mystérieux,
vraiment !

samedi 25 février 2012

Christian Bobin - D'abord, regarder ...



.... Tout est une question d’air et de respiration. C’est l’encombrement qui nous rend malhabile, et qui nous fait parfois, suffoquer. On a besoin de connaître des choses telles que l’ennui, le manque, l’absence, pour connaître la présence, la joie et l’attention pure. On a besoin d’une chose pour aller vers une autre.

... Je pense que c’est une souffrance que d’avoir tout à sa disposition, sans intervalles. On devient soi-même comme une chose au milieu des choses. Alors qu’on a besoin que certaines vitres de la maison soient cassées. Et que le vent entre ! Besoin de certains défauts, de certains manques, de certaines brisures, pour pouvoir respirer.

... Accepter l’irréparable. Le regarder. Le contempler en tant que tel. Ne pas chercher de consolations illusoires. Ne pas se précipiter pour venir en aide. Mais, d’abord, regarder, et si l’on est devant un mur, le voir. S’il est aussi haut que le ciel, le reconnaître. C’est quelque chose qui amène un profond changement intérieur. Cette « acceptation » n’est pas une résignation, mais une vue. C’est la vue qui guérit, la vision vraie. Pas l’illusion, même si parfois la vérité est que nous n’avons pas de solution. Mais le reconnaître, le formuler, change tout. Comme si savoir que la porte est fermée, et l’accepter, vous la faisait traverser ! Or, la racine de la vue, c’est la contemplation. Et la racine de la contemplation, c’est l’attention.

.... Ma vie ? C’est comme si depuis toujours, j’avançais dans la brume ! Et tout ce que je vois me semble déchirer un voile de néant posé sur le monde. Soudain ça m’apparaît, dans une splendeur ! Je suis sujet à des éblouissements. Ça peut être un visage, un objet. C’est comme si la création du monde était continue, que nous étions contemporains de la création du monde. C’est comme si la création n’était pas une chose à l’arrière de nous, mais exactement en train de se faire.

Christian Bobin


Léo Ferré - Le bateau ivre de Rimbaud (1990)

Une porte s'est ouverte

-1-

Par enchantement
une porte s'ouvre.
C'est le même paysage,
la même table
de regards rieurs,
le même merle
qui remue la terre
de son bec orange.
Mais la porte s'est ouverte,
éphémère tendresse,
douceur d'une plume,
étoile en son berceau
de profond azur !

-2-

Le déchirement
a pris les jambes à son cou,
claquement d'ailes noires !
Tout est retourné
à sa tranquillité première !
Une porte s'est ouverte.
C'est la même lumière,
la même fenêtre,
et pourtant un secret
est là derrière les arbres,
près du brin d'herbe,
un secret qu'il faut taire !

-3-

C'est comme s'il pouvait
maintenant fermer les yeux,
habiter le réel
avec la liberté du rêve,
simplicité du jour,
promesse d'un jardin
ouvert par les larmes
où meurt la souffrance
devant une frêle fleur !
Et c'est là près
du verre qui brille,
la douceur d'une joue,
la voix qui murmure
que tout est reconnu !



-4-

Une porte s'est ouverte,
et il n'y comprend rien,
des cendres dans la main.
Un chemin est venu
par surprise
qui n'est pas son chemin.
Par la fenêtre
la blancheur du ciel
vient comme un manteau
sur ses épaules.
Il n'a plus qu'à marcher
avec d'invisibles visages,
flammes à protéger !

-5-

Un corbeau aux ailes
tachées de blanc
s'est posé au sommet
d'un sapin,
léger bercement du vent,
silencieuse maison.
Il aimerait écrire encore
ce qui échappe
à toute parole.
Serait-ce là
l'inaltérable espace ?
Une rivière inconnue
a emporté
tous les tourments !



-6-

Et vous les amis,
buvez ces mots
comme du vin !
Une porte s'est ouverte.
Partout dans la ville
un tourbillon de passants
ouvrent des portes
fièvreusement !
Mais il n'y a rien,
seulement de la tristesse,
comme un chien
mené en laisse !

-7-

Il n'ira pas là-bas !
La fleur attend son dessin.,
fleur du jardin ouvert
à celui qui a
baissé les armes !
A tout instant
elle peut mourir.
Un courant d'air suffit  !
Il n'ira pas
dans ce tourbillon
d'où l'on ressort exsangue !
Une porte s'est ouverte.
Plus rien ne retient
l'envol de son chant !

vendredi 24 février 2012

Haizi (1964-1989) - Le vieillard enlève la jeune fille

Soleil – La terre

« Quand la terre sera morte,
L’espoir pourra-t-il la remplacer ? »
(Août 1987)

Janvier, hiver
Chapitre un – Le vieillard enlève la jeune fille

Vieillard de désir, vieillard de mort
Dans la forêt, ancienne idole
Vieillard dans les relents d’alcool

Vieillard de désir, vieillard de mort
Toujours ivre
Et affamé
Bain de sang, fleur sacrée

Lui, la fleur sacrée
Eclose dans la plaine millénaire
Et moi, fils de la paix et du silence
Ensemble, ici

Vieillard de désir, vieillard de mort
Une rivière plus qu’humaine
Bain de sang, fleur sacrée

Dans la forêt, le vieillard
Vieillard de mort, vieillard de désir, à la treille s’abreuvant
Venu des amphores grises, au-delà de l’espoir
Son visage de désir et de mort
Comme un paisible village

Fleur sacrée, comme un bain de sang
Lui toujours ivre
Et affamé

Poussés par le vieillard des hautes plaines
Les génies de la lune, toujours écopent
Pour écoper, tisser le clair de lune
(Avec les os de la jeune fille)

Vieillard de désir, vieillard de mort
Etend les mains dans le ciel des hautes plaines
Cornes tordues du clair de lune
Pleines de génies, comme un automne triste

Automne, où les génies ne peuvent traverser
Au milieu des larmes, les cornes tordues de la nouvelle lune
Les chants de l’automne roulent dans leurs yeux
Comme au royaume des cieux, sur la berge vide du lac
Vieillard de désir, vieillard de mort
Dans la plaine détroussant les voyageurs
Troupeau de buffles, déferlant sur la rivière, riche et désolée
Lune, bouquet de démons

Vieillard de désir, vieillard de mort
Dans cette forêt à midi
Le vieillard ivre arrête la jeune fille

Cette jeune fille, c’est moi
Enfant de la plaine et de la paix
L’amoureux du poème, qui vit et meurt sous la lune

Vieillard de désir, vieillard de mort
Qui penche comme un jardin ivre
Etend les mains, arrête la vierge

J’ai voulu crier :
Génies de la lune, sœurs heureuses
Où êtes-vous ?

Une voix, les génies ne chantent pas
Humanité, vierge comme neige
Humanité, peur originelle
A l’aube
Au temps des oiseaux-mouches
Dans le silence des génies
Je suis brisé comme la plaine

Sur le lac, les lianes s’enroulent autour de mes genoux
Ma langue est comme un enfant taciturne
Dans cette vallée douloureuse
Sur cette plaine dorée
Le vieillard de désir, le vieillard de mort
M’a prise de force --
Humanité vierge, pleurant sans larmes

Ils écopent au loin dans l’automne coupé du monde
Ecopent avec les os de la jeune fille
Cornes penchées de la lune, pleines de génies amers
Mon destin, sans soutien, penche dans le soir

Larmes d’étoiles, suspendues au loin
Larmes, mes sœurs, roulant vers la rivière
Aube d’une infinie tristesse
Après la lune, verse l’eau de la terre

Enterre-moi dans la vallée après l’automne
Dans l’automne coupé du monde
Que la vallée le soir ressemble au cadavre du prince,
Jeune cadavre du prince, toujours sur mon corps
Soir et nuit sur mon visage
Je serai la jeune fille de la mort et de la vie éternelle

Enterrez les génies de la lune au jardin d’Eden
Vieillard de désir, vieillard de mort
Ivre, affamé, jardin qui penche
Je serai la jeune fille du jardin de la mort, et de la vie éternelle.


tableau d'Egon Schiele

 

Glenn Gould, perdu en sa musique -Beethoven-Sonata No.31 op.110

Vite !

La nuit vient,
pour quels rêves ?

Demain je me lève,
pour quel feu ?

Où suis-je ?
mes gestes,
ma voix,
mes yeux,
pour qui ?

La nuit vient,
pour quelle mort ?

Au matin je vis,
pour quelle désir ?

Le jour s'éteint,
ai-je ouvert ma porte ?

Quelles étincelles
ai-je semé ?

Et si j'ai dormi
qui viendra me réveiller
avant que je m'endorme
à tout jamais ?

jeudi 23 février 2012

Vivant avec Daby Toure

Auteur inconnu


On peut cueillir une fleur
pour l’offrir à un être aimé.
On peut se transformer en fleur
pour l’être aimé.



Une louange

Louange aux mélèzes,
à leurs ombres
traversées d'or !

Louange aux rochers
qui du schiste au granit,
du grès au calcaire
prennent corps et figures
quand le soir descend !



Louange aux arbrisseaux,
aux aulnes et aux cytises
qui bordent les sources
des secrètes naissances !

Louange aux mauves des fossés,
aux graines d'épilobe
qui se libèrent et voguent
au gré des murmures du vent,
et aux fleurs étoilées
dont la joubarde est reine !



Louange aux arbres morts
dont les troncs cendrés
sont des lanières de fouets
au coeur des forêts !

Louange à la géométrie
jaune et noire de la chenille,
à la peluche des bourdons,
aux fourmis ivres des sentiers,
à l'araignée qui distille son venin
sur les ombellifères aimées du vent !

Louange au rapace
qui lance un cri strident
avant de disparaître
derrière la crète
où brûle le crépuscule
avec quelques arbres
perdus dans les rochers !

mercredi 22 février 2012

Superbe ! Musique Andalouse Marocaine avec Françoise Atlan


et si vous avez aimé

ODI



Ralentir

De l'autre côté du fleuve,
un héron se tient perché
sur une branche,
immobile, enigmatique !

Une péniche baptisée Bornéo
fend les flots de l'eau grise
majestueusement lente !

Pourquoi être si pressé ?

Et si il ralentissait
chacun de ses gestes,
chacune de ses paroles,
s'en porterait-il plus mal ?

Et le monde ?

Cocon

Vois-tu cet iris
qui peu à peu
quitte son alcôve ?
Il déploie
ses ailes bleues
veinées de noir
et en son coeur
demeure
un nuage d'or !

Quitteras-tu
toi aussi
ce cocon
qui étouffe
ta vie ?

mardi 21 février 2012

Christiane Singer - Et je reste là et je regarde

... Nous connaissons dans notre Occident deux voies quand nous sommes dans un état d’étouffement, d’étranglement. L’une c’est le défoulement, c’est crier, c’est exprimer ce qui était jusqu’alors rentré. Il y a de nombreuses formes de thérapies sur ce modèle et c’est probablement, en son lieu et place, quelque chose de très précieux, pour faire déborder le trop plein. Mais au fond, toute l’industrie audiovisuelle, cinématographique, est fondée sur ce défoulement, cette espèce d’éclatement de toute l’horreur, de tout le désespoir rentré, qui en fait le prolonge et le multiplie à l’infini.

L’autre réponse, c’est le refoulement : avaler des couleuvres, et devenir lentement ce nid de serpents sur deux pattes, avec tout ce que ces vipères et couleuvres avalées ont d’effet destructif sur le corps et l’âme.

Et le troisième modèle qui nous vient d’Extrême-Orient et qu’incarnait Dürckheim : s’asseoir au milieu du désastre, et devenir témoin, réveiller en soi cet allié qui n’est autre que le noyau divin en nous.

J’ai rencontré voilà quatre jours, en faisant une conférence à Vienne, une femme. Et c’est une belle histoire qu’elle m’a racontée qui exprime cela à la perfection. Elle me disait à la perte de son unique enfant, avoir été ravagée de larmes et de désespoir, et un jour, elle s’est placée devant un miroir et a regardé ce visage brûlé de larmes, et elle a dit : « Voilà le visage ravagé d’une femme qui a perdu son enfant unique », et à cet instant, dans cette fissure, cette seconde de non identification, où un être sort d’un millimètre de son désastre et le regarde, s’est engouffrée la grâce. Dans un instant, dans une espèce de joie indescriptible, elle a su : « Mais nous ne sommes pas séparés », et avec cette certitude, le déferlement d’une joie indescriptible qu’exprimait encore son visage. C’était une femme rayonnante de cette plénitude et de cette présence qu’engendre la traversée du désastre.

Il existe, paraît-il, dans un maelström, un point où rien ne bouge. Se tenir là ! Ou encore, pour prendre une autre image: dans la roue d’un chariot emballé, il y a un point du moyeu qui ne bouge pas. Ce point, trouver ce point. Et si un seul instant, j’ai trouvé ce point, ma vie bascule, dans la perspective de la grande vie derrière la petite vie, de l’écroulement des paravents, de l’écroulement des représentations. Un instant, voir cette perspective agrandie...


Christiane Singer - Extraits de son livre : Du bon usage des crises - Editions Albin Michel -





Jeux d'ombres

Substantifique

Il y a de la clarté
dans ce rien,
avec le ciel du soir libéré,
derniers nuages
qui s'attardent
avec le jour !

Le bouleau
se dépouille
de ses feuilles d'or
et rejoint la nudité
qui vient avec les ombres.

Rien, les feuilles tombent
maintenant au moindre souffle.
Ainsi tombe la vanité.
Il n'y avait de réel
que la chaleur d'une main,
le sourire où l'on trouve
son gîte et sa vérité !

Cest ainsi. La substance
approche sans peur
l'effondrement du monde
de tout monde,
quand le silence
renverse la prétention
de l'homme qui croit dominer
là où il s'emprisonne !

lundi 20 février 2012

Lorette Noblécourt - Consentement à l'essentiel


Nous savons qu’il n’y a rien à réussir car tout s’accomplit.

Chacun doit être défait de sa représentation pour être rendu seulement à ce qu’il est. Car être absolument ce que nous sommes c’est être beaucoup plus que ce que nous sommes. Devenir qui nous sommes c’est détruire en totalité la représentation que nous avons de nous-mêmes.

Cette vision exaltée de soi-même, cette identité idéale ; nous ne serons jamais celle ou celui que nous avons voulu être mais nous pouvons être enfin celle ou celui qui, en soi, devient. Cette défaite peut être notre plus grande victoire.

Cet homme qui croit être arrivé est un homme égaré. Toujours il faut recoudre les habits du voyage et repartir en soi même. Ce n’est pas s’élever dont il s’agit mais s’enfoncer. La véritable ascension relève, en réalité, d’une descente dans les profondeurs.

Et ce que nous appelons miracle est seulement la vie révélée dans son essence. La vie ce n’est ni scientifique, ni mystique ni magique ; c’est ontologique et poétique.

Et en éprouvant l’ombre et la lumière du monde, nous pressentons que l’ombre aussi a besoin d’amour.

Cette part inaltérable de l’Etre en nous, personne ne peut la posséder, y compris nous-même. Elle nous ouvre un accès continuel à la connaissance qui est un autre nom de l’amour.

La joie est la joie lorsqu’elle n’a aucune cause antérieure à elle-même. Comment chacun prend-il en charge son propre désir de vivre, comment chacun conduit-il ce désir vers la joie ? C’est la façon la plus humble que nous avons à notre portée d’appréhender les êtres.


Lorette Noblécourt - L'usure des jours - Editions Grasset
 
 

L'homme blessé de Gustave Courbet
 





 


Tango with Lions ~ In a Bar


Ce n'est rien

Ce n'est qu'une graine
emportée par le vent !
Si la terre est gelée
qui l'accueillera ?

Ce n'est qu'une plume
qui cherche une main
pour devenir trésor
dans une boite d'enfant !

Ce n'est qu'une bulle
de savon qui éclatera
au dessus d'un sourire
empli d'émerveillement,

le poème !

dimanche 19 février 2012

Bénin prophète !

Dans l'inconnu

Plus de séparation
entre cette conscience
et le corps
comme un oiseau
éblouissant
qui prolonge
cette lumière,

oiseau tellement inconnu
tellement méprisé,

toi qui donne
chair à cette lumière
pour aller vers

un autre regard
ou le coquelicot
délicat qui
accompagne
en tremblant
le chant du blé,

plus de frontières
et de murs,
au coeur de ce coeur
bat la plus lointaine
nébuleuse,

plus de prison
où l'on étouffe
derrière un visage
qui n'est pas le sien,

le feu ne brûle
qu'un songe
et sa cohorte
de mensonges,

les racines nées
des cris et des appels,
des larmes étincelles
ne lâcheront plus
ce roc en sa force,

c'est là qu'il arrive
dans l'inconnu,
son pays même,

où la vie est choisie,
accueillie
comme un enfant
délivré de son abîme,

c'est là qu'il chante
sa complicité
avec l'ours, le lion,
le léopard des neiges,
le cèdre et ses pommes
aux perles de sève
qui donnent
par enchantement
un vrai désir de respirer !

C'est là que du silence,
il devient mère
d'un fils qui n'osait
encore se lever !

Et c'est dans cette brisure,
cet effondrement salvateur
qu'il ouvre largement son coeur
à la recherche
de tous les mercis,

merci pour la nuit
qui broie
et la porte qui se ferme,

merci pour
les amours impossibles
qui mènent aux profondeurs
du diamant,

merci pour
l'égarement sans lequel
il n'y a pas de retour,

merci pour
la danse avec la mort
qui donne splendeur
aux aubes bénies,
où le chant de vivre
est retrouvé, fontaine
qui coule par surprise,

merci pour
tout ce qui a été,
de l'ombre verte
des mélèzes
au visage absent
qui s'efface
sous la terre,

merci pour
tout ce qui vient
qui sera le signe
et le maître de la noce
toujours offerte !

samedi 18 février 2012

Maurice Bellet - Traverser "l'en-bas"


Ce qu'il faut comprendre ou plus modestement entendre, c'est que l'en-bas est hors de toutes les explications et interprétations, hors d'atteinte.

Si quelque chose ou quelqu'un peut descendre là - rejoindre celui ou celle que dévore la déesse noire -, eh bien, rien à faire: il faut que ce soit quelque chose ou quelqu'un d'en bas.

Mais comment serait-ce possible ?
Qui peut s'en aller par là sans se perdre ? Et le cœur de l'affaire est peut -être ceci : l'en-bas, il faut le traverser. Pas d'évasion, pas de sortie par en haut.
Où donc est l'issue ? Où est le je-ne-sais- quoi, le changement, la mutation, qui n'enlève rien mais qui change tout ?
Tout, ou très grande part des discours, des exposés, sert simplement à masquer, refouler l'en-bas, y compris et surtout quand on en parle.
L'en-bas est - par nature ! - en dessous de toutes les interprétations et explications. Dès qu'on explique et interprète, on est hors de lui.

Car ce n'est pas une chose, un état, un définissable. Il est tout entier dans le rapport que l'être humain a avec lui : c'est le rapport à l'obscur, à la ténèbre, au nœud meurtrier. Du dehors, après, quand vous voudrez, c'est ceci ou cela. Dedans c'est l'imprononçable, l'innommable.
Et l'innommable fuit et s'enfonce derrière tous les discours, tous les savoirs.
Il hante l'arrière-pays de la psychanalyse elle-même.

Compulsion. : le président Kennedy court les filles. «Voyons, monsieur le Président ? - Je ne peux pas m'en empêcher.»
L'obsession sexuelle, l'alcool, la drogue, la fugue, les accès de violence, et, pour le pire, viol ou meurtre. «Je ne peux pas m'en empêcher. »
Du dehors, l'inadmissible. Du dedans, une culpabilité épouvantable.
On traîne ça comme un boulet. Quelquefois, souvent, c'est invisible – avec le risque d'apparaître un beau jour en pleine lumière. La vie bascule.

Ou bien, perversion : on considère le pire comme normal, ou plutôt on se refuse à toute norme. On n'en est même plus à la douleur. On est dévoré par l'abîme.
Infernale nécessité.

Comment peut-on en venir là ? Mille chemins, millions d'histoires à chaque fois singulières. Les parents sans doute, les aïeux, toute la généalogie. Et quelque chose qui a manqué, qu'on a manqué. Une marche dans l'escalier. Un visage. Un pas qu'il fallait faire ; ou ne pas faire. Et maintenant: c'est ainsi.

Les êtres humains ne sont pas cohérents: premier principe de notre connaissance d'humanité.

C'est pourquoi vous pouvez être en haut et en bas. Vous pouvez être d'assez belle allure (morale, j'entends), et intelligent, et efficace, et reconnu tel, avec de belles aspirations, de grands sentiments, le tout sincère et honnête - et pourtant avec, dans votre vie, l'inavouable, le ver dans le fruit.

Un passé irréparable, qui vous poursuit sans pitié, une douleur d'amour qui déchire encore et encore, un vice - la bouteille, la drogue, les petits garçons - ou tout bonnement, tout purement l'infernale tristesse qui défait tout, qui pourrit tout, et dont la source noire est introuvable.


Les maîtres et seigneurs n'ont aucun pouvoir sur l'en-bas. Les maîtres du savoir n'y descendent pas; ou ils s'y perdent, ils s'égarent; ils deviennent fous.
Ô qui peut descendre là, être parmi eux, parmi nous, celui qui n'est pas complice de ce qui nous tue ? Celui dont la tristesse même est vierge de la ténébreuse tristesse où s'anéantit notre naissance ?

Quelle prière pourrait monter de l'en-bas vers quel Dieu, vers quel visage de quel Dieu, pour que nous soyons consolés ? Comme par une mère qui n'a pas peur du mal de son enfant, comme par un père qui préfère la vie du fils à toute gloire et à tout bonheur ?
Nous n'appellerons personne, père ou maître. Car personne, en bas, ne peut porter une charge si terrible.


Maurice Bellet - La traversée de l’en-bas - Editions Bayard
 
 

 

Lhasa de Sela - Pa'Llegar a tu Lado (HQ)

Ceux qu'on montre du doigt

-1-

Dans le jour
qui tremble,
il oublie le gris !
Seul l'espace
dont il s'ennivre
l'entoure,
envol brusque
d'oiseaux
qui jamais
ne seront prisonniers !
Désir en lui
qui va toujours plus loin !

-2-

Hier en allant
prendre son bus,
il comprenait
tous les visages
qu'il croisait,
enfant auréolé
de la lumière
du monde qu'il crée
à chaque instant,
sourde tristesse
de cette vieille dame
qui habite seule
avec son coeur
dans un flot de voitures !



-3-

Etranges existences
menacées de naufrage !
Si peu appellent à l'aide
sûrs d'être rois,
alors qu'ils sont
des pierres qui coupent
et tuent d'un regard,
propriétaires
de leur monde
où le faible n'entre pas !

-4-

Lui préfère
le vagabond transparent
qui traverse la ville
à la recherche
d'une prairie
où il pourra
perdre son temps
à contempler
un brin d'herbe
qui ploie sous le vent !
Oh ! vagabond
qui n'attend plus
qu'on l'aime !



-5-

La source est avec lui
et c'est le seul bien
avec sa besace
qui contient
tous les espaces
où il a respiré
vraiment !
Vagabond qui
croit encore
qu'un seul sourire
effraye la déesse noire
qui cherche
une vie à dévorer !

-6-

Aujourd'hui
dans ce monde frileux,
assis sur une chaise d'osier
il accompagne
les âmes en exil,
ceux qu'on montre du doigt,
les soupçonnés
de vouloir vivre
hors de la mort organisé !
Et il n'est plus seul
malgré son rêve en miettes !



-7-

Il chante
face à la colline
et aux fenêtres aveugles !
Il chante
qu'il restera humain
jusqu'à donner sa vie
malgré l'obscur
qui appelle !

Et toi, si tu passes
près de son ciel,
repose toi un peu !
Il te fera toujours
un peu de place
à ses côtés !

vendredi 17 février 2012

L'intrépide

L’intrépide 

Où que tu sois, creuse profondément !
Les sources sont toujours sous terre.
Laisse les hommes obscurs à leurs piaillements :
« Sous terre, c’est toujours – l’Enfer ! »




Friedrich Nietzsche



Claire Denamur - La mal aimée

Le repos bienvenu

Une seule colombe
s'est posée sur
la cheminée rouge.

Savoure-t-elle
le rayon solitaire
de lumière
qui donne une reflet d'or
à sa blancheur ?

Elle vient de disparaître
sans donner de réponse,
ainsi que le soleil !

Deux étincelles
dans le ciel
qui se referme !

jeudi 16 février 2012

Cyprian Smith - Entrer dans le fond de l'âme ...



Si j'observe quelque chose, je dois être différent et distinct de ce que j'observe. Le fait d'avoir la possibilité d'observer mes pensées signifie qu'elles sont différentes de moi. Je ne les suis pas. En fait je ne suis aucune de ces choses que j'ai l'habitude de considérer comme moi-même. Je ne suis pas mon corps, pas mon esprit, ni mes émotions, et je ne suis pas non plus toutes ces choses ensemble. Alors qui suis je ? Qui c'est, «moi» ?
Il y a quelque chose en moi qui est toujours parfaitement détaché, tranquille et serein ; quelque chose qui n'est jamais irrité par quoi que ce soit, jamais abattu ou accablé ; qui est comme un lac profond et peut-être sans fond. Mes différentes pensées et émotions sont des vagues à sa surface. Mais, sous la surface, dans les profondeurs, il n'y a aucun remous. Tout y est calme. Y vivent d'étranges poissons et des arbustes légers comme une plume. Lorsque la turbulence de la surface a disparu, l'eau devient claire ; et nous pouvons voir dans les profondeurs et nous rendre compte de ce qui y vit. Mais cela même n'est pas le lac. Et ce n'est pas «moi». Mon moi est ce qui contient tout cela ; comme une eau tranquille, calme ou ondulée, douce ou salée, qui est remplie de poissons ou qui n'en contient pas.
Nous devenons conscients du vrai moi permanent lorsque nous sommes détachés des diverses projections ou activités qui ne sont pas nous-mêmes, mais seulement les choses que nous faisons ou les fonctions que nous remplissons. Avant de devenir conscients de notre moi permanent, nous sommes tyrannisés par nos pensées et par nos émotions. Et comment pourrions-nous l'éviter puisque nous n'avons ni havre ni refuge face à elles ? En effet, nous nous identifions à nos pensées et à nos émotions. Cela désorganise et morcelle nos vies, car nous avons un moi différent selon nos humeurs et nos activités du moment. Je suis une certaine personne quand je mange, j'en suis une autre quand je me promène, une autre quand je travaille, et encore une autre quand je parle avec ma femme. Il n'y a là rien qui puisse conférer une unité ou une continuité à mon identité, rien qui puisse lui donner une cohérence ou la contenir en un tout. Je n'ai pas un seul moi, mais une série de moi différents, qui sont parfois même en conflit les uns avec les autres.
Lorsque Eckhart en parle, il dit que c'est comme être perdu dans «la multiplicité» et dans des «images étrangères». C'est un état d'ignorance dans lequel nous nous trouvons réellement. Nous sommes entièrement conditionnés et déterminés par des influences venant du dehors, ce qui signifie que nous sommes incapables de faire quoi que ce soit, car il n'y a pas en nous de moi capable de faire quelque chose. Ce que nous tenons pour notre «action» n'est qu'une réaction à des stimulations extérieures et à des conditionnements, comme cela se passe pour un robot ou pour un automate. Car l'action, dans son sens véritable, n'est possible que pour quelqu'un qui a pénétré dans le vrai moi, dans le fond de l'âme, et qui a appris à agir à partir de ce centre.
Ainsi nous ne sommes pas réels, nous ne sommes pas des moi unifiés, et nous ne sommes pas capables d'une action authentique, avant d'avoir appris à entrer dans notre fond. Une action authentique n'est jamais déterminée de l'extérieur ; elle surgit avec spontanéité et librement du dedans. Partant de là, on perçoit aisément que le fond de l'âme est, à un très haut degré, détaché de notre monde quotidien et de ce que nous considérons habituellement comme notre «identité» et notre «vie». Il est élevé au-dessus d'elles, dit Eckhart, comme le ciel est élevé au-dessus de la terre. Rien de terrestre ne peut le toucher réellement. Il transcende l'espace et le temps. Celui qui entre dans le fond de l'âme ne se soucie plus ni du passé ni du futur. Il n'est conscient que de l'instant présent ; et l'instant présent est pénétré de la lumière divine, car c'est dans le présent, et seulement dans le présent, que le monde du temps touche au monde de l'éternité.

Cyprian Smith

 



 

Catherine Ribeiro / Personne

Patience

Ce vieil homme
Qui traverse la route
Devant sa voiture
Pas à pas
L’invite à avancer
De même
Pas à pas
Dans le silence
 Et la paix
Petit à petit
Abandonné
A ce qui est !


mercredi 15 février 2012

Patience

                                   "Avons nous la patience que nos impuretés
                                       se déposent
et que l'eau redevienne claire ?
Pouvons nous rester tranquille
en attendant que l'action juste s'élève d'elle-même ?"
Tao Te King

Geoffrey Oryema - Land of Anaka

.
.

Appel

Il appelle cette flamme,
une enfant fragile.

Aucun mur
ne l'empêche de voir.

Elle va droit
à la perle.

N'ayant rien à perdre,
tout fond devant elle !

A son passage
les eaux de la nuit
s'écartent.

Son triomphe
est dans sa cachette,
n'ayant pas besoin d'être vu
pour éclairer !

Il appelle cette flamme
dans la déchirure !


Sculpture de Brancusi

mardi 14 février 2012

Christiane Singer - Entre le cœur du monde et le mien, tout coule de source

L'état amoureux donne un goût de l’élan ; cet élan qui porte, jette l’être entier en avant vers les bras de l'aimé(e).

J'ose prétendre que si en cet instant, en de multiples endroits du monde, des femmes ne s'élançaient pas vers leurs aimés, des enfants dans les bras d'une mère, d'un père, des amis l'un vers l'autre, des chevreuils vers la source, si cet élan n'était pas à chaque instant tissé de neuf qui jette l'océan à la rencontre de la terre, alors le monde cesserait aussitôt d'exister. Car cet élan est le nerf de la création.

Lève-toi! Marche! Debout! « Mais je suis déjà debout! - Non, mets-toi encore debout dans ce que tu crois être debout! Ouvre les yeux ! - Mais j’ai déjà les yeux ouverts ! - Ouvre les yeux dans les yeux que tu crois avoir ouverts ... » De commencement en commencement jusqu'au commencement qui n'a pas de fin. Un moment, la peur est abrogée, la peur que nous ressentons tous à nous élancer, à nous perdre dans l'amour, à nous anéantir dans un autre. Et pourtant c'est cette expérience - qui dans l'ordre de la logique nous éloigne au maximum de ce que nous sommes - qui nous précipite au cœur de notre être véritable. En me diluant, en me perdant, je me rencontre pour la première fois. Là où je suis le plus loin de ce que je croyais être moi, je suis enfin qui je suis.

Et même si nos amours souvent se terminent en abandon, en trahison, ne prononçons pas de faux serments : «Désormais je n'aimerai plus». Mais tout au contraire, jurons-nous de ne plus jamais aimer avec l'arrière-pensée de garder et de posséder, de ne plus jamais aimer autrement que pour aimer. Sommes-nous des mercenaires pour attendre en retour une solde ?

Aimer est en soi la récompense. Chaque fois que nous aimons, le monde resplendit et jubile. Chaque nœud de bois, chaque pavé sous mon pied, chaque poignée de porte sont des talismans de l'amour! Le monde entier devient un talisman. Je ne suis plus qu'élan, rencontre, reliance. Je suis vivant! Je rayonne de ce qui est, je reflète la splendeur du monde ; entre le cœur du monde et le mien, tout coule de source.

Christiane Singer - Du bon usage des crises - Editions Albin Michel




Matisyahu - Redemption Song (Reprise de Bob Marley)

Maison



Il désire vivre
là où le mot
n'a plus cours,

demeure singulière
où l'on reste
des heures à la fenêtre
à regarder un arbre
être dans sa force,

et où chacun
quand il y pénètre
trouve sa couleur,

et où l'amour,
l'amie et la sœur
ont même
battement de cœur !


lundi 13 février 2012

Denis Marquet - La peur, ouverture à la grâce de la vie



On entend souvent dire qu’il faudrait vaincre sa peur. Il est vrai que celle-ci, outre qu’elle est une souffrance, nous empêche d’agir, d’aller au devant des rencontres, de vivre la vie dans sa plénitude. Quel rêve, ne plus avoir peur !

Mais regardons de plus près. Avant d’aborder l’inconnue qu’il désire, l’amoureux est terrifié. Quel est le moyen, pour lui, de ne plus avoir peur ? Celui du grand timide : tourner les talons et fuir ! Loin de la femme qu’il aime, le voilà pleinement rassuré. La peur a disparu avec l’objet de son désir. Jacques Brel, cet immense artiste qui vomissait son trac avant chaque entrée en scène, aurait pu éviter cette pénible expérience : il lui suffisait d’annuler son concert. Mais il aurait alors sacrifié son désir. Ces deux exemples nous signalent un intéressant paradoxe : ce n’est pas la peur qui inhibe - c’est le refus de vivre la peur. Dès lors que je mets tout en œuvre dans ma vie pour ne pas traverser l’expérience de la peur, je renonce également à tous mes vrais désirs. Car c’est le désir qui met en danger ! Désirer, c’est toujours aller vers ce qu’on ne sait pas. Au contraire de la pulsion qui, Freud l’a montré, est régressive et vise le rétablissement.d’un état antérieur, le désir, lui, va de l’avant. Son seul objet est l’inconnu...

... Qu’est-ce que la peur ? Le désir, plus la connaissance. Il y a donc deux manières d’éviter la peur. La première : nier la connaissance. C’est l’attitude de l’inconscient, celui qui met lui-même et les autres en danger parce qu’il rejette hors de sa conscience les réalités du monde, donnant l’apparence d’un courage qui n’est que folle témérité.
La seconde : nier le désir. C’est la recherche effrénée de la sécurité, incitant à tout prévoir, tout planifier, ne vivre que routines et répétitions.
Quête illusoire : tant qu’on n’est pas mort, on n’est jamais complètement en sécurité ! Le meurtre du désir est négation de la vie.

Si l’on veut vivre à la fois la connaissance et le désir, alors ne reste qu’une voie, celle du vrai courage : accepter la peur. Si je me risque dans l’inconnu en toute conscience, je ne peux échapper à celle-ci. Toute vraie rencontre est redoutable : car elle me confronte à une altérité radicale, celle de ce mystère qu’est autrui, que je ne peux posséder, qui m’échappe, et m’incite à me vivre moi-même d’une manière absolument neuve. Bien des êtres croient aimer quand ils ne font qu’entretenir un pacte mutuel de réassurance, en demeurant le même tout en attendant de l’autre qu’il ne change pas, chacun niant en lui-même toute dimension d’altérité, de mystère, de nouveauté. Il n’y a pas d’amour sans insécurité. De même, créer est effrayant, car il s’agit, abandonnant tout savoir sur soi et toute identité, de laisser surgir de soi l’inconnu. Aimer, créer : tout ce qui donne sens à la vie implique de traverser la peur.

La peur est notre amie. Elle nous délivre un précieux message : celui de notre insuffisance. Dans l’amour comme dans la création, je me trouve dans une dimension où ce que je sais, ce que je peux par mes seules forces ne suffisent pas. Ne fuyons pas la peur : c’est elle qui nous ouvre à la grâce !


Denis Marquet