lundi 30 avril 2012

Agnes Obel – Brother Sparrow

Urgence

-1-

Mille et un cerf-volants
bruissent dans le vent.
Un fil les retient.
Les nuages s'écartent.
Les rides sur l'étang
deviennent des vagues
où se brise la lumière.
Le vert tendre des arbres
raconte une naissance.



-2-

Dans l'allée forestière
de nonchalants promeneurs,
muguets à la main,
hument une dernière fois l'air
avant de s'engouffrer
dans leur habitacle de métal.
La Vierge en métal doré
ouvre les bras, impassible,
à la Moselle grise
qui n'est déjà plus la même !

-3-

Entre les ronces
d'un verger abandonné
il a aperçu une maisonnette
qui domine le fleuve-serpent.
Là, il aimerait être
pour tracer sur du papier blanc
le seul signe qui vaille,
la seule lettre qui se dévoile
sans s'épuiser jamais !



-4-

Ce n'est même plus
une phrase, ni un mot.
Un point même sensible
ne suffit pas entre
la plume et le cahier.
Ce n'est pas assez !
Serait-ce une flamme
au plus proche de lui-même ?
La pierre blanche
d'une essence unique
prête à rejoindre un diadème ?

-5-

Il reste seulement
dans l'effondrement,
prêt à avancer
bordé de silence,
sur le point de disparaître
en ces draps blancs
pour être enfin
ce qu'il a à être
sans plus jamais
se retourner !



-6-

Il revoit cette terre noire
creusée avec deux doigts
et les graines qu'il y a
abandonnées.
Il accepte l'impuissance,
l'alchimie du jour,
de la rosée, du lombric,
del'averse solaire.
Seule ici importe
la semaison !

-7-

Errance reconnue,
ténèbres bues
jusqu'à l'écoeurement,
ce ne peut plus être
le temps de l'ardent
visage qui s'efface !
Il y a urgence
encore à naître !


tableau de Marie Hercberg


dimanche 29 avril 2012

La maturité du regard



"Voyez les enfants — tant ceux des êtres humains que ceux des animaux —, voyez comme ils ne sont que regard, écoute, sensibilité, attention. C'est universel, c'est inné ; voilà notre vraie nature. N’y a-t-il pas là un signe très clair ? C’est avec l’accumulation des impressions mentales laissées par les innombrables expériences passées que nous nous mettons à vivre dans l’habitude. Avec le temps nous en venons à accepter l’idée que ce n’est pas la première fois, la seule fois, que nous ouvrons les yeux sur le monde. La notion d’objet va alors de soi et il ne nous vient plus de douter de la réalité de nos images. Notre cerveau, très tôt dans notre vie, a échafaudé une image du « monde » à partir des impressions des cinq sens. Nous sommes dès lors convaincus de la solidité des choses « là-bas » et d’un moi « ici ». Le cerveau a construit les notions même de « là-bas » et « ici ». (…)
La vie méditative, c’est la maturité du regard, dans lequel n’y a plus l’habituelle ruée bovine sur des objets. C’est une persistance du regard. C’est par impatience que nous nous jetons sur des objets et sur des situations. L’impatience c'est la peur et cette peur repose uniquement sur une pensée. Méditer c'est persister avec ce qui est là. Cela implique donc le refus des images. Non pas les combattre, non pas chercher à les détruire — qu’y a-t-il à combattre ? Non. Cela consiste à refuser de se contenter du pâle reflet de la réalité qu’est l’image de soi-même. Quand vous demeurez avec « ce qui est là », à un moment donné cette attention devient silence, étonnement, ravissement, tranquillité. La brume des images se dissipe et il reste une lucidité dans laquelle il n'y a plus ni objet ni sujet. Méditer c’est vivre sans se localiser. Il n’y a que pur regard, pure attention.
Vous vivez dans le marasme simplement par manque de conviction d’être pur regard, pure lumière consciente.(…). Alors, ce que j’appelle méditation c’est cette persistance du regard, cette insistance de l’attention, sans but, sans projection de ce qu’on pourrait voir. D’ailleurs, il n’y a rien à voir ! Au cœur d’une telle attention, il ne subsiste bientôt plus que la pure lumière consciente, qui est la vie elle-même."
Jean-Bouchard D'Orval


Ayo - Lonely


Clarté

Il ne voit plus la nuit !

Elle est là, matrice
de l'ombre qui viendra.
Le doute a laissé une trace
comme un doigt
sur une vitre sale !
Il n'a pas répondu
aux interrogations.

Il ne voit plus la nuit !

Il a vu descendre
par les visages
et par l'énergie inépuisable
des enfants
et par les fenêtres ouvertes
qui respirent
ou des corps qui s'étreignent
sans se prendre
une lumière qui enclot
les plus fortes ténèbres !

Il ne voit plus la nuit,
les étoiles ont tout envahi !


tableau de Turner, 1817 !!

samedi 28 avril 2012

Il y a des blessures



Il y a des blessures qui arrivent si tôt
qu'aucun combat ne peut être mené.
Elles demandent un retour si profond en soi
que seul Dieu peut être trouvé.

Mayah Baty - L'Une

Sophie Hunger


et si vous avez aimé



Trouée

Simple passerelle
de mots
qui domine
le vide,
le poème
transforme
les cris
en oiseaux
annonciateurs
de lumière !


tableau de Sylvie Thouron

vendredi 27 avril 2012

Karlfried Graf Dûrckheim - Devenir un avec la source de notre être



La petite feuille du grand arbre! Si la feuille était douée de conscience, ne serait-elle pas, en automne, sous l'emprise du sentiment de sa mort prochaine? 
Assurément, si sa conscience ne contenait rien d'autre que la feuille, la feuille en soi. Alors elle sentirait qu'elle jaunit, qu'elle commence à sécher, qu'elle va bientôt tomber, jouet du vent, victime de puissances destructrices. 

Supposons maintenant que la feuille puisse avoir conscience que ce qui vit en elle n'est pas seulement la feuille mais en même temps l'arbre
Elle saurait alors que sa vie et sa mort annuelles sont un mode d'être de l'arbre. Elle serait consciente que la vie de l'arbre est en elle, que la Vie inclut non seulement sa petite vie mais sa petite mort. Et instantanément, l'attitude de la feuille, face à la vie, et face à la mort serait transformée; l'angoisse disparaîtrait et tout prendrait un autre sens.

Les angoisses de l'humanité correspondent à celles de la feuille qui s'arrête à sa conscience de feuille, c'est-à-dire qui est prisonnière de la petite réalité immédiate, des sens, de la raison et, qui est incapable de sortir de ses frontières. 

A la conscience que nous avons en général de la vie, manque la conscience de notre être profond. Pour que celle-ci puisse percer, il nous faut réviser celle-là, reconnaître combien elle est bornée. Il nous faut prendre au sérieux les heures privilégiées de notre existence, c'est-à-dire en reconnaître les signes, et laisser s'épanouir la grande Vie qui est en nous. 

Seulement ainsi, pouvons nous entrer en contact avec notre être vrai. Car cet être est notre façon individuelle de participation à la Grande Vie. Et la maturité, qu'est-elle d'autre que la manifestation de notre participation à travers notre vie quotidienne?

Devenir un avec la source de notre être : tel est le chemin de la maturité intérieure. Le tout est de comprendre les signes, de les écouter, et de les suivre fidèlement.


 Karlfried Graf Dûrckheim

Bollani /Rava - La stanza della musica - Estate


Fraternelle


Voici une poésie,

plume légère,
souffle dessus !

Qu'elle monte,
qu'elle descende,

elle rencontrera
des coeurs
qui espèrent !

A côté de toi,
il y a toujours
quelqu'un
qui attend
ton amour !


jeudi 26 avril 2012

Arrêt de bus


Pas un visage
ne manque,
pas un regard !

la foule défile.

Deux jeunes
se tiennent
par la main.
S'aimeront-ils
toujours ?

Tant de soif,
tant d'appels !

la foule défile,
la foule désire.
Que désire-t-elle ?

Le vent se lève

Chacun frissonne,
chacun se croise.

Tant d'amour !

Au loin la guerre,
des empires
s'écroulent !

Aimera-t-il
toujours ?


Nedim Nalbantoğlu

Un grand violoniste turc !



et si vous avez aimé :



Sur l'enfance et son regard

"Tout apparaissait Neuf et Étrange au début, ineffablement rare, et Délicieux, et Beau. J'étais un petit Étranger et à mon Entrée dans le Monde j'étais Salué et Entouré de Joies innom­brables. Ma Connaissance était Divine (...). Mon Ignorance même était Avantageuse. Je ressemblais à quelqu'un Amené dans l'État d'Innocence. Toutes Choses étaient Intactes, Pures et Glorieuses : oui, et infiniment miennes, Joyeuses, Précieuses. (...) Le Blé était Froment Immortel couleur du Levant, qui jamais ne serait moissonné et jamais n'avait été semé. Je pensais qu'il s'était tenu là d'Âge en Âge. La Poussière et les Pierres de la Rue étaient aussi Précieuses que I'Or. Les Grilles du Portail étaient d'abord le Terme où finissait le Monde. Les Arbres Verts quand je les vis pour la première fois à travers l'une des Grilles me Transportèrent et me Ravirent ; leur Douceur et leur Beauté extraordinaire firent bondir mon Cœur, et [me rendirent] presque fou d'Extase, tellement ces Choses étaient étranges et Merveilleuses. Les Hommes ! O quelles Créatures Vénérables et dignes de Révérence semblaient les Vieillards ! D'Immortels Chérubins ! Les jeunes Hommes semblaient des Anges Éclatants et Resplendissants, les jeunes Filles d'étranges et Séraphiques Fragments de Vie et de Beauté ! Les Garçons et Filles Culbutant et Jouant dans la Rue étaient des Joyaux en mouvement. Je ne savais pas qu'ils étaient Nés ou devaient Mourir. Mais toutes choses demeuraient Eternellement telles quelles à leurs Places Respectives. L'Eternité était Manifeste dans la Lumière du Jour, et quelque chose d'infini Derrière chaque chose transparaissait qui parlait à mon Attente, Éveillait mon Désir. La Ville semblait se tenir en Eden, ou être Construite au Paradis. Les Rues étaient miennes, le Temple était mien, les Gens étaient miens, leurs Vêtements, leur Or et leur Argent était miens, tout comme leurs Yeux Pétillants, leurs Peaux claires et leurs frais visages. Les Cieux étaient miens, ainsi l'étaient le Soleil, la Lune et les Etoiles, le Monde entier était mien ; et j'en étais le seul Spectateur, le seul à en Jouir. Je ne connaissais ni Possession Grossière, ni Limites ni Divisions ; mais toute Possession et Division étaient miennes : tous les Trésors et tous leurs Possesseurs. De sorte que ce n'est qu'[à force de] beaucoup de simagrées que je fus corrompu ; et conduit à apprendre les Stratagèmes Abjects de ce Monde. Ce que je désapprends aujourd'hui redevenant, pour ainsi dire, petit Enfant afin que je puisse entrer à nouveau dans ce Royaume."

Thomas Traherne, poéte anglais, Les Centuries, ed. Arfuyen, 2011, traduction Magali Jullien.

mercredi 25 avril 2012

Vimala Thakar, l'ombre du silence

Vimala_Thakar

 L'ombre du Silence

La Parole est l'ombre du Silence
L'ombre n'a pas en soi de substance,
La parole n'a pas en soi de consistance.

Ceux qui essaient de mesurer
Une Substance par son ombre
Ne parviennent nulle part.

Ceux qui essaient de mesurer
Le Silence par la Parole
Ne parviennent nulle part.

Ne mesure pas avec des mots
La profondeur du Silence.

N'évalue pas avec des mots
Le contenu du Silence.

Ne juge pas avec des mots
La qualité du Silence.

La Parole est l'ombre du Silence.

Vimala Thakar, poétesse indienne

Cracow Klezmer Band

Dehors, l'habitude


Bonjour !
Que ce soit un bon jour !
C'est simple,
un pas
après l'autre,
mais avec le soleil !

Bonjour,
soleil ambulant !

Bonjour,
graine de paradis !

Tu as poussé
la porte
et voilà
que le jour rayonne !

Bonjour,
bonté de l'homme
au regard ouvert !

Bonjour,
bonté de l'univers,
et même du tigre,
de la punaise,
et du moustique
qui danse le soir
près des lumières !

Bonjour éternel !



mardi 24 avril 2012

Le visage est lumière

IMG_0004

Extraits du livre :

"Tout le visage n'est que lumière. Tourné vers la lumière, lui-même se présente comme une large trouée d'azur, un abîme de clarté, un grand ciel dans notre chair. Au faîte du corps, il amorce sa transforma­tion, il dit ce pour quoi nous sommes faits, où l'échelle de la vie nous conduit. Grand ouvert, en lui l'homme s'évase."


"La paix qui émane du paysage te touche à ce point parce qu'elle éveille en toi un lieu similaire, un lieu qui l'accueille et la comprend, un lieu qui lui répond. Sa douceur, son harmonie secrète, sa grâce singulière, ne font que susciter d'intimes correspondances. Si tu parviens à rejoindre ce lieu profond, à en situer le che­min - ce lieu caché, ce lieu qui n'en est plus un, qui donne forme plus qu'il ne contient -, où que tu ailles, quoi qu'il arrive, toujours cette paix sera là. Par quel miracle, par quelle mystérieuse alchimie, deman­des-tu ? Regarde, regarde encore, contemple la paix en sa beauté, jusqu'à ce qu'elle se dessine en toi, s'y imprime, jusqu'à ce que tu comprennes qu'elle est la forme même de ton âme."


"Une pénétration de la vie par l'esprit, telle est l'at­tention au réel, aiguë, intense, illuminant le relief de chaque instant. Une observation libre, dégagée, béante et lumineuse. Une vigilance sans objectif. Une tension sans focalisation. Une conscience transparente et flot­tante des choses, au-delà du cercle étroit dans lequel nous évoluons quotidiennement Nous tenons au monde par les pieds et par les mains, comme par les griffes du savoir et de l'intelligence pratique. Nous y adhérons plus intimement par la force du regard, par l'acuité de notre présence, dans un échange qui nous grandit."

Sophie Hunger - Breaking the wave (Haldern Pop 2010)

Préparatifs


Palombes et geais,
brindilles au bec,
traversent la nappe du ciel.

Les arbres convives
qui chantent avec le vent
mettent le couvert des bourgeons.

Les primevères et muscaris
récitent leurs couleurs
aux quatre coins
de la table des jardins.

L'invité du soleil viendra,
même si au fonds des maisons,
on crie encore, on assassine !


lundi 23 avril 2012

Toute science suspendue - Pierre Eliane

La Source



« Trouver la source n’est pas difficile !
Nous n’avons pas à ramper pour la trouver ; nous vivons tous à partir d’elle ; nous ne pourrions pas vivre autrement ; la seule chose que nous ayons à faire c’est de cesser de faire obstacle à la vision de cette source.
Nous ne serons jamais plus prêt pour cette vision que nous ne le sommes maintenant. Le dragon du mental nous dit « remets cela à plus tard, tu n’es pas prêt, tu n’es pas prêt ». Croire cela, c’est jouer le jeu du dragon.
Même quand nous sommes au bout de nos ressources, au bout de nos peines, déprimés, c’est le moment de voir qui on est, de retourner notre vision. Maitre Eckhart a dit : « Quand vous êtes vraiment désespéré, que vous arrivez au bout de toutes vos ressources, c’est le moment où ce pourvoir divin extraordinaire vous inonde. » Douglas Harding, stage, été 1996.
J’aime beaucoup cette image de la source. Elle est d’ailleurs traditionnelle. Ne sommes-nous pas comme des assoiffés cherchant partout l’eau qui pourrait enfin nous désaltérer ? L'eau qui pourrait apaiser nos angoisses, calmer nos désirs insatiables, éteindre le feu qui nous brule, briser les limites qui nous enserrent ?
Et ce qui est étonnant, inespéré, c’est que cette source est si proche de nous ! nous n’en avons jamais été séparés ; elle est ici, au centre. Rien ne nous en sépare sinon la croyance que nous en sommes séparés. Nous sommes comme des poissons cherchant partout l’eau dans laquelle ils vivent !
Cette source, c'est la conscience, la vacuité à partir de laquelle nous vivons.
Même dans de profondes émotions, je peux m’ouvrir à cette source. Les moments douloureux sont souvent des opportunités d’ailleurs pour s’éveiller à ce que je suis parce que dans ces instants, toutes les protections de l’ego s’épuisent et lâchent prise.
Je serai toujours infiniment reconnaissant à Douglas de m’avoir montré combien simple et direct et l’accès à la source.

José le Roy

Source

Extrait d'une Causerie par Douglas Harding



Docte ignorance

Docte ignorance
apprends-lui
un langage inconnu
qui passe par
ses yeux,
ses mains,
ses mots sans pouvoir,
simples caresses
pour rendre à tout être
sa lumière,

et toi, raison,
reviens à la maison
pour garder intact
sa folie et son désir
d'une plus haute vie !

dimanche 22 avril 2012

Roberto Juarroz




Certaines lumières éteintes
éclairent plus
que les lumières allumées.

Il y a des lieux où il ne faut pas
que quelque chose soit allumé pour y voir clair.
De plus il y a des choses
qui s'éclairent mieux toutes lumières éteintes,
comme certaines strates obliques de l'homme
ou des recoins qui s'installent subrepticement
dans les espaces les plus ouverts.

Il y a cependant une intempérie de la lumière,
une zone sereine et dépouillée
où il n'y aucune différence
entre les lumières allumées
et les lumières éteintes.

Roberto Juarroz, Poésie verticale

Erik Truffaz et Murcof - Avant L'Aube



Aube tant désirée, aube qui vient, aube des visages qui brillent !

Proches de l'issue



-1-

Limpide après
la giboulée,
la colline s'ébroue,
envol vert
des feuillages qui ruissellent
hors d'une écharpe
de nuages effilochés !

-2-

Le soleil diamantaire
est ébloui,
recule déjà
sous la mitraille
du grésil.
Pulsionnelle la terre
retient son cri !



-3-

A sa fenêtre vigie,
il vit l'ouvert,
déploiement des verts
jusqu'à l'arbre
le plus haut
de Buthégnémont
encore aride
et griffant les nuages.

-4-

A sa fenêtre voyage,
il sourit de l'embuscade
d'un orage
qui rend intense
la lumière
sur les feuillages.
Le miroir d'un velux
l'oblige à baisser
le regard !

-5-

Même les corbeaux
luisent, emportés
par le vent glacial.
Il accueille ce qui vient.
Il n'a plus d'âge,
il n'a plus de nom,
emporté lui aussi,
offert à ce qui s'offre,
paix sans nom
et sans prétention !



-6-

Les peines peuvent
venir s'y déverser,
véritable baume
du lilas mauve,
fulgurant chat noir
qui franchit le grillage
et emporte au loin
les mauvaises pensées,
mélèze en prière
qui échappe aux fumées
de l'homme prisonnier !

-7-

Il est ce qu'il est,
laisse monter
le vivant en lui,
porte de toutes
les aubes à venir,
langage neuf,
chemin imprévisible !
Seul, il sourit
ensemble,
marche à côté
des voix proches
de l'issue !


samedi 21 avril 2012

Il viendra un temps


Il viendra un temps où la langue rejoindra le cœur

Le cœur rejoindra l’âme


L’âme rejoindra le secret 


Et le secret rejoindra la Vérité 


Le cœur dira à la langue « silence ! »


Le secret dira à l’âme, « silence ! »


Et la lumière intérieure dira au secret, « silence ! »


Ansari




Dessin de Bashô


X. Jordi Savall: El jorn del judizi, El canto de la Sibila / Hespèrion XXI


A peine du bourgeon

Il a pris du temps
avec une feuille d'arbre,
sortant à peine du bourgeon.
Il a vu sa tendre jeunesse,
l'arbre que dessinent ses nervures
à la venue de l'été,
le rouge et l'or qui gagnent
doucement son corps
dans le brouillard d'automne
et le vent neigeux qui l'emporte
jusqu'à sa sépulture de givre !

Est-il la feuille, l'arbre, le vent ?
Feuille voyageuse du temps ?
Arbre qui plonge ses racines
dans l'éternel maintenant ?
Ou vent qui fait chanter
à l'unisson tous les êtres vivants ?


vendredi 20 avril 2012

Le maître de cérémonie





Danse l'hermine,
se cache, réapparait,
dresse la tête
aux aguets,
éclair blanc et brun
difficile à saisir !

Le cri du chouca
est plus facile
à comprendre.
Près du ravin
où l'homme
n'est jamais monté,
il fait résonner le ciel,
appelle les étoiles !





Passionnément

Armand Robin, le programme en quelques siècles

LE PROGRAMME EN QUELQUES SIÈCLES

On supprimera la Foi
Au nom de la Lumière,
Puis on supprimera la lumière.

On supprimera l'Âme
Au nom de la Raison,
Puis on supprimera la raison.

On supprimera la Charité
Au nom de la Justice
Puis on supprimera la justice.

On supprimera l'Amour
Au nom de la Fraternité,
Puis on supprimera la fraternité.

On supprimera l'Esprit de Vérité
Au nom de l'Esprit critique,
Puis on supprimera l'esprit critique.

On supprimera le Sens du Mot
Au nom du sens des mots,
Puis on supprimera le sens des mots

On supprimera le Sublime
Au nom de l'Art,
Puis on supprimera l'art.

On supprimera les Écrits
Au nom des Commentaires,
Puis on supprimera les commentaires.

On supprimera le Saint
Au nom du Génie,
Puis on supprimera le génie.

On supprimera le Prophète
Au nom du poète,
Puis on supprimera le poète.

On supprimera les Hommes du Feu
Au nom des Eclairés
Puis on supprimera les éclairés.

On supprimera l'Esprit,
Au nom de la Matière,
Puis on supprimera la matière.

AU NOM DE RIEN ON SUPPRIMERA L'HOMME ;
ON SUPPRIMERA LE NOM DE L'HOMME ;
IL N'Y AURA PLUS DE NOM ;

NOUS Y SOMMES.

Armand Robin, Les Poèmes Indésirables


jeudi 19 avril 2012

Bétail, vraiment ?


Premiers rayons de soleil
dans la prairie où
un cheval à robe claire
émerge d'un voile
de brume éphémère !

Un promeneur
caresse ses naseaux,
croise son regard
empli de ciel
et de sapins noirs.

Au loin les sonnailles
sont agitées par
des cous puissants
qui se penchent
vers l'herbe aux diamants,

des poitrails innocents
chantant la jeunesse
d'un monde qui s'offre
sans l'ombre d'un repli !


La Route, Da Silva

 
 
On reprendra la route
On traversera le décor
On avancera en pleine lumière
Cernés par les doutes
On fera table rase
On laissera tout dehors
Veux-tu recommencer alors
Veux-tu recommencer ?

Même si je ne sais rien du tout
Rien de tout
Ce que le temps fera de nous
Les jours de peine.

On tombera tous les ponts
On filera droit devant
On regardera passer
Les quatre saisons
On s’enverra en l’air
A terre à l’envers
Veux-tu recommencer encore ?
Veux-tu recommencer ?

Même si je ne sais rien du tout
Rien de tout
Ce que le temps fera de nous
Les jours de peine.
Les jours de peu de raison et d’amour
Veux-tu recommencer alors.

On reprendra la route
Et tout ce que l’on a raté
Nous semblera si loin d’un jour à l’autre
D’un jour à l’autre
La roue finira par tourner
Ne te retourne pas

Veux-tu recommencer encore ?
Veux-tu recommencer ?

Même si je ne sais rien du tout
Rien de tout
Ce que le temps fera de nous
Les jours de peine.
Les jours de peu de raison et d’amour
Veux-tu recommencer alors.

Le fond de l'être est doux

Quelque part,
se tenir
précisément
tendrement
immobile...
Epousant
les courbes
de l'invisible infini fiancé.

Etre dansé par le Souffle,
Inspiré par le Vent.

Le fond de l'Etre est doux...


Jean Yves Leloup



mercredi 18 avril 2012

Fugitif



Le pinson ne restera pas
longtemps sur sa branche.
Mais il est venu,
rayon de lumière ébouriffé
qui disparaît.

Trop de tendresse.

Et les jonquilles
sur l'étagère
sont un soleil
à elles toutes seules.

Fragile,
corps fragile,
que restera-t-il
de toi ?


La chanteuse Kabyle Nouara - M'kteyid ay amdakuel

Comment entrer...

Comment entrer dans le Poème sans voir ? 
Dans la chair de l’existence ? 


Une fois pour toutes devenir présent 
à ce qui de toutes parts échappe, 
et qui pourtant se trouve miraculeusement contenu.


Voilà l’expérience souveraine qu’il te faut faire et refaire. 
Sans jamais la commander, 
mais en l’accueillant au contraire comme un fruit nécessaire. 


Oiseau. Pomme. Branchages. Fleurs extasiés. 
Petit crapaud que la main salue. 
Fourmilière ignorée. 


Où se trouve le tenant de l’âme ? 
En quel lointain de la mémoire les mots 

qui ne renonceront pas ?


Jean Lavoué

 

mardi 17 avril 2012

Marguerite


Les étamines dans le coeur
d'une marguerite
forment une comète
qui tourne sur elle-même
et entraine avec elle
les pétales blancs
qui flottent dans le vent.

Pourquoi es-tu belle,
marguerite
et n'as-tu pas
en ton coeur
un pistil-poignard
prêt à frapper ?


Dominique A. , Nanortalik, chanson illustrée avec les peintures de Frank Gervaise

 
 
Je voudrais être
N'importe où
Nanortalik

En d'autres terres
N'importe où
Nanortalik

A embrasser
D'autres musiques
A peaufiner
D'autres répliques
Couché, debout

De bon matin
L'or aquatique
Est remonté

Des bateaux déchargent,
Argentées,
Des millions d'écailles
Rougies

Des milliers d'yeux vides
Qui me fixent
Et qui me disent
"Mais qu'attends tú?
Va fondre devant l'inconnu
Nanortalik

Auroe boréale
Aidez-nous
Nanortalik

A passer le cap
Des remous
Nanortalik

Sirène blanche
Retrouvons-nous
Sur un ferry
De la Baltique
Couhés, debout
Puis partons sur Nanortalik

Jon Kabat-Zinn - Connaître l'ici et le maintenant pour la première fois


Des membres d'une tribu africaine avaient été employés pour aider une équipe de télévision américaine munie d'un lourd équipement à traverser la jungle, jusqu'à la ville. Pressés par le temps, les journalistes avaient insisté pour progresser à un rythme soutenu, qu'ils étaient parvenus à maintenir durant quelques jours.

Finalement, à une journée de marche de la destination, les porteurs avaient refusé de faire un pas de plus en dépit de toutes les supplications, exhortations et promesses. Les Américains avaient souligné d'un ton implorant qu'ils étaient presque arrivés, qu'un dernier effort les conduirait au terme de leur voyage. Mais les membres de la tribu étaient restés inflexibles.

Pourquoi? Parce qu'ils avaient avancé à un rythme si peu naturel qu'ils devaient s'arrêter quelque temps pour permettre à leur âme de rattraper leur corps.

Car ce n'est que lorsque nous arrivons et sommes présents pleinement, en dehors de la pensée et pleinement dans nos sens, que nous pouvons atteindre un endroit. Pouvons-nous nous assurer, au fond, que «le terme de toute notre exploration ... [soit] d'arriver là d'où nous sommes partis et de connaître cet endroit pour la première fois» ?

Pour T. S. Eliot, il ne fait aucun doute. Nous le pouvons! Nous le pouvons!

"Nous ne cesserons d'explorer
Et le terme de toute notre exploration
Sera d'arriver là d'où nous sommes partis
Et de connaître cet endroit pour la première fois.
Franchir la porte inconnue et reconnue
Quand le dernier coin de terre à découvrir
Sera le commencement même ;
À la source du plus long des fleuves
La voix de la cascade cachée
Et les enfants dans le pommier
Non connus car non recherchés
Mais entendus, à demi entendus, dans le calme
Entre deux vagues marines." *

Mais que pourrait signifier arriver là d'où nous sommes partis et connaître cet endroit pour la première fois? Et comment y parvenir? Quand en prendrons-nous conscience? Savons-nous au moins que nous avons déjà ce qu'il faut, et que nous le sommes? Savons-nous que nous sommes déjà là ... Ou, plutôt, ici ?

Peut-être que tout est déjà bien ... parfaitement ce qu'il est. Parfaitement tel qu'il est. Maintenant. Arrivant. Atteindre l'ici. Atteindre le maintenant. Et connaître l'ici et le maintenant pour la première fois, moment après moment après moment.
 
Jon Kabat-Zinn
 


 

lundi 16 avril 2012

Ce qui lui reste

-1-

Toujours
ce qui est su
sans pensées,
ciel du soir,
nuage d'or,
est silence,
caresse où
demeurer !

-2-

Les feuilles
du hêtre pourpre
naissent
aujourd'hui.
Le sapin lève
ses bras d'aiguilles
dans le vent du Nord
et danse sans
connaître sa danse.

-3-

Les paroles
sont blessures
sur le ventre du ciel.
Fugitif, le soleil
joue à cache-cache.
Les variations de sa lumière
révèle un éclair
plus profond !

-4-

Mort douce
à ne rien saisir
dans l'absence,
derrière les mots
un autre langage
s'offre aussi vif
que le rouge-queue
qui s'enfuit
de son nid
en équilibre
sous la gouttière !

-5-

Le peuple du lilas blanc
est à la merci
du moindre souffle,
grappes en mouvement.
La corolle des tulipes
s'ouvre jusqu'aux
dernières lueurs.
Ce qui est brisé
peut-il se refermer ?

-6-

Traversée
au bord de l'éphémère,
à chaque instant
prêt de tomber,
comme un pétale
de prunus,
il est la défaillance,
alliée aux ailes
de l'oiseau
voué à l'exil !

-7-

Choisir l'abîme,
s'y retirer
où plus rien
ne s'abîme,
véhémence
du chant de la colline,
foudre blanche des nuages
qui signalent le chemin muet,
c'est ce qui lui reste !