dimanche 29 janvier 2012

Gu Cheng 顾城 (1956-1993)

Je suis un enfant coléreux
Peut être que
Je suis un enfant que sa maman a trop gâté
Je suis coléreux

Je voulais
Que chaque instant
Soit beau comme des crayons de toutes les couleurs
Je voulais
Pouvoir dessiner sur l’adorable feuille blanche
Dessiner l’idiote liberté
Dessiner un œil
Qui jamais ne pleurerait
Et un ciel
Et des plumes et des feuilles sur ce ciel
Un soir glauque et une pomme

Je voulais dessiner l’aube
Dessiner la rosée et les sourires qu’on aperçoit
Dessiner toutes ces enfantines
Amours qui n’ont pas souffert
Dessiner en rêve
Celle que j’aime
Elle n‘a pas vu les nuages sombres
Ses yeux sont clairs comme le ciel
Toujours elle me regarde
Toujours, observe
Sans jamais détourner la tête

Je voulais dessiner des pays lointains
Dessiner des horizons clairs et des vagues
Dessiner tous ces ruisseaux joyeux
Dessiner des collines ---
Couvertes de mousse pâle
Je les aurais serrées
Pour qu’elles s’aiment
Pour que chacune s’abandonne
Que chaque souffle calme du printemps
Devienne
La fête d’une fleur

Je voulais aussi dessiner l’avenir
Je ne l’avais jamais vue, c’était impossible
Mais je savais qu’elle serait belle
Dessiner son manteau d’automne
Dessiner ces bougies ces érables en feu
Dessiner des cœurs
Par son amour éteints
Dessiner des mariages
Dessiner toutes ces fêtes levées de bon matin --
Et coller dessus des papiers de bonbons
Et des illustrations de contes pour enfants

Je suis un enfant coléreux
Et j’ai voulu tout raturer
Je voulais partout sur la terre
Dessiner des fenêtres
Pour que les yeux accoutumés à l’ombre
S’habituent à la lumière
Je voulais dessiner le vent
Dessiner les crêtes des montagnes toujours plus hautes
Dessiner la soif des peuples de l’orient
Dessiner l’océan
Et le chant infini du bonheur

Enfin, au coin de la feuille
Je voulais me dessiner aussi
Dessiner un ours dans les arbres
Dans la jungle sombre de Victoria
Rêvant
Sans maison
Sans cœur abandonné au loin
Avec seulement, tout plein
De rêves comme des baies
Et d’immenses yeux

Je voulais encore
Voulais
Mais je ne sais pas pourquoi
Je n’ai pas reçu de crayons
Pas eu d’instant de toutes les couleurs
Je n’ai eu que moi
Avec mes doigts et mes douleurs
Que ces feuilles déchirées
Adorables et blanches
Parties chasser les papillons
Evanouies dans le présent

Je suis un enfant
Que sa maman rêveuse a trop gâté
Je suis coléreux

(Mars 1981)


Chagall

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