lundi 14 mai 2012

Age et bonheur

 




Bien que l’âge n’aie, comme je l’ai montré, aucun rapport direct avec le bonheur, Il existe au moins un immense avantage à être âgé, c’est que notre esprit devient avec l’âge de moins en moins dépendant de la mémoire et qu’il est de plus en plus capable d’utiliser la partie éternellement jeune de son esprit, celle qui est en lien avec l’éternité, avec le présent infini de l’éternité. Je veux parler de la raison, prise dans son sens le plus profond, non pas la capacité à faire des raisonnements avec le langage, mais la capacité à intuitionner le réel hors du langage. L’avantage de la vieillesse, c’est qu’on perd la mémoire ! Disons plutôt qu’on a moins besoin, (car la mémoire cognitive est bien sûr un bien qu'il vaut mieux ne pas trop perdre) et qu'on peut dans l'âge mûr se consacrer davantage à l’usage de l’intuition, de la capacité de connaissance directe de la réalité, faculté maîtresse de l'art, de la philosophie et de la spiritualité.

La vieillesse est, en conclusion, comme l’enfance, l’âge d’or, parce que c’est l’âge de l'esprit éveillé, l'âge de l’innocence retrouvée, l’âge "de la vie purifiée des illusions et des passions", comme dit Stendhal. Toutes les joies de la vie spirituelle sont alors à tout moment accessibles, en particulier quatre grandes sources de joies.

D'abord, les joies de la philosophie, les joies intellectuelles et cognitives de comprendre, se comprendre et comprendre le monde. Le sénior a plus de temps libre et de disponibilité intérieure pour se consacrer à la vie de l’âme, la philosophie et la spiritualité. Grâce à la pratique de la philosophie, les passions sont moins intenses, parce que les illusions sont moins fortes, alors que les désirs peuvent être toujours aussi intenses et enthousiasmants. D'autre part l’expérience permet d’éliminer les erreurs du passé, de se libérer des identifications et des croyances matérialistes ou idéalistes : on se libère des idéaux, on se libère des ambitions, du narcissisme… Les affects peuvent donc être plus facilement raisonnables et l’intelligence devient plus affective, plus sensible aux vraies valeurs de la vie.

La personne âge peut alors accéder aux joies de la sagesse, les joies spirituelles et transcendantes qui dépassent la pensée et sont pure conscience d'être et d'apprécier la vie telle qu'elle est, sans avoir besoin de la comprendre.
"La jeunesse est le temps d'étudier la sagesse, la vieillesse est le temps de la pratiquer" remarquait Rousseau. Et Joubert ajoutait "La vieillesse n'ôte à l'homme d'esprit que des qualités inutiles à la sagesse."
Bref, vieillir n’est pas diminuer, mais grandir. C'est avoir, par la bénédiction de l'âge, plus d'espace de vie pour exprimer sa grandeur d’âme, sa magnanimité.

Mais ce n'est pas tout ! Le sénior peut savourer toutes les joies de la culture, les joies esthétiques et poétiques des jeux, de la pratique des arts, des sciences, des techniques, de la politique, avec certes moins de rapidité, mais peut être plus de saveur...

Enfin la vieillesse est l'âge d'or pour savourer les joies de l’amour, les joies affectives, amicales et amoureuses qui enrichissent plus que toutes autres la vie humaine. Et même les joies de la sensualité et de la sexualité ! Quelle merveille que de tomber amoureux à plus de 80 ans ! C'est Anaïs Nin qui l'a sans doute le mieux exprimé : "Le seul alchimiste capable de tout changer en or est l'amour. L'unique sortilège contre la mort, la vieillesse, la vie routinière, c'est l'amour."


Ce n’est donc pas un hasard si une étude l’Insee a montré que les français sont beaucoup plus heureux entre 60 et 65 ans qu’à tout autre période de la vie… Ajoutons à présent qu'avec une bonne qualité de vie et un peu de philosophie, ce bonheur peut durer et même s'intensifier jusqu'au double ! Le jour de son 121e anniversaire, un journaliste a posé la question à Jeanne Calment : « Je voudrais bien savoir si vous avez très envie de continuer à vivre ? ». La doyenne lui a répondu : « Oui, encore un peu ». C'est qu'elle avait conscience qu'elle pouvait encore savourer son bonheur, et peut être même l'augmenter... car la grâce de la béatitude et l'extase de vivre peuvent jaillir à tout instant : cela ne demande que l'abandon de la conscience à la grâce d'être conscience.

Le sénior a donc finalement beaucoup plus de chance de vivre dans le bonheur parce qu'il a plus le temps de se consacrer à la sagesse, c'est-à-dire la vertu, « la force d’âme », comme dit Spinoza, que je préfère appeler la « bonté d’âme ». Le bonheur, c’est surtout éprouver la joie d'être bon. La bonté est la source essentielle du bonheur, parce qu'elle implique la capacité de sentir combien la vie est bonne, parce qu'elle est par elle-même la source de toute joie…

Je peux donc pour finir vous chanter avec ce prince de la vieillesse que fut Brassens : « moi qui navigue entre deux âges, je vous adresse ce message : l’âge ne fait rien à l’affaire, quand on est bon, on est bon ! Qu’on ait 20 ans, qu’on soit grand père, quand on est bon, on est bon ! Entre vous plus de controverses, bons caduques ou bons débutants... Petits bons de la dernière averse, vieux bons des neiges d’antan... Heureux de la dernière averse, heureux des neiges d’antan ! "

Je vous remercie pour votre attention et vous souhaite un vieillissement bienheureux !
 
Bruno Giuliani

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