Il ne fait pas nuit sur la terre ; l'obscurité rôde, elle erre autour du noir. 
Et je sais des ténèbres si absolues que toute forme y promène une lueur 
et y devient le pressentiment, peut-être l'aurore d'un regard. 
Ces ténèbres sont en nous. Une dévorante obscurité nous habite. 
Les froids du pôle sont plus près de moi que ce puant enfer 
où je ne pourrais pas me respirer moi-même. 
Aucune sonde ne mesurera ces épaisseurs : parce que mon apparence est dans un espace 
et mes entrailles dans un autre ; je l'ignore parce que mes yeux, ni ma voix, ni le voir, ni l'entendre
ne sont dans l'un ni l'autre.
Il fait jour ton regard exilé de ta face 
Ne trouve pas tes yeux en s'entourant de toi 
Mais un double miroir clos sur un autre espace
Dont l'astre le plus haut s'est éteint dans ta voix.
Sur un corps qui s'argente au croissant des marées 
Le jour mûrit l'oubli d'un pôle immaculé 
Et mouille à tes longs cils une étoile expirée 
De l'arc-en-ciel qu'il draine aux racines des blés. 
Les jours que leur odeur endort sous tes flancs roses 
Se cueillent dans tes yeux qui s'ouvrent sans te voir 
Et leur aile de soie enroule à ta nuit close 
La terre où toute nuit n'est que l'ouvre d'un soir.
L'ombre cache un passeur d'absences embaumées 
Elle perd sur tes mains le jour qui fut tes yeux 
Et comme au creux d'un lis sa blancheur consumée 
Abîme au fil des soirs un ciel trop grand pour eux.
Il fait noir en moi, mais je ne suis pas cette ténèbre bien qu'assez lourd 
pour y sombrer un jour. 
Cette nuit est : on dirait qu'elle a fait mes yeux d'aujourd'hui et me ferme à ce qu'ils voient. 
Couleurs bleutées de ce que je ne vois qu'avec ma profondeur, 
rouges que m'éclaire mon sang, noir que voit mon cœur... 
Nuit du ciel, pauvre ombre éclose, tu n'es la nuit que pour mes cils.
Bien peu de cendre a fait ce bouquet de paupières 
Et qui n'est cette cendre et ce monde effacé 
Quand ses poings de dormeur portent toute la terre 
Où l'amour ni la nuit n'ont jamais commencé.
Joë Bousquet

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