vendredi 9 novembre 2012

"Aller vers les autres m'a sauvée !"

 
Lytta Basset, théologienne, écrivaine, accompagnatrice. Ses livres s’arrachent et ses conférences affichent complet. Elle y parle d’une force divine qui lie l’humanité: le souffle d’amour.


 

Vos livres ne cessent de cerner des émotions qui nous touchent tous, telle la colère. Où trouvez-vous vos thématiques?

Elles sont ce que je vis, simplement. Tout ce que j’écris provient de questions personnelles auxquelles je me suis confrontée. Je ne peux pas écrire sur ce que je n’ai pas expérimenté.

Vous avez traversé des drames dans votre vie, tel le suicide de votre fils Samuel, en 2001. Que peut-on construire sur cette souffrance?

La souffrance nous met devant un choix: vais-je me replier définitivement sur moi et décider qu’il n’y a rien à attendre? Beaucoup de personnes mettent effectivement leur fierté à dire qu’elles n’ont jamais besoin de personne. Il existe l’autre option: j’ai l’impression de me trouver dans un bourbier mais je reste ouverte.

Qu’avez-vous fait quand votre fils est mort?

Aller vers les autres m’a sauvée. Je ne sais s’ils pouvaient comprendre ce que je vivais, en particulier ceux qui n’avaient jamais perdu un enfant ou n’en avaient pas. Mais j’y allais quand même.

Et alors?

Cela faisait si mal que je devais absolument parler à des êtres humains, même si j’ignorais comment ils allaient réagir. Si on calcule tout et qu’on exige une réponse adéquate, il ne se passe rien. Dans mon passé plus lointain aussi, ce que j’ai vécu a été si insupportable que je me demande encore comment j’ai survécu. Il a pourtant dû y avoir une petite ouverture par où ce souffle d’amour est passé…

Vous dites que la blessure de la séparation ne saigne plus…

Oui, elle est tout à fait fermée, même si je sais où est la cicatrice. En mai, cela fera dix ans que Samuel n’est plus là. Peu à peu, je l’ai laissé partir. C’est toujours l’apprentissage de l’amour: laisser l’autre être lui-même. Lui laisser le droit de vivre son chemin comme il l’entend. L’aimer dans cette distance qui est un respect de son territoire à lui. Pour moi, Samuel est juste de l’autre côté du voile. Il nous laisse vivre ce que nous avons à vivre sur cette terre. Sa proximité est aujourd’hui plus grande du fait que j’ai consenti profondément à le laisser partir. Je ne fais pas dépendre mon bonheur de sa présence physique. Aimer sans dévorer, comme le titre de mon dernier livre.

L’amour, la force du lien. C’est ce qui parcourt ce livre. Vous appelez cela «le souffle». Quel est-il?

Le fil rouge de ce livre, c’est lui, cet échange d’amour auquel on aspire mais qu’on ne peut créer de toutes pièces. Ce souffle d’amour ne peut être emprisonné. Sans cesse, il bouge et nous fait bouger. Même si l’on vit une relation forte, par exemple des décennies d’amour en couple, ce n’est pas dans la poche une fois pour toutes. On ne peut jamais dire: j’ai réussi mon couple. Je préfère dire: je m’expose chaque jour à ce souffle d’amour, qui n’est pas juste un courant d’air.

Comment s’exposer à ce souffle?

Je fais beaucoup d’accompagnements, depuis des années. Ce qui me frappe dans tant de problèmes relationnels, c’est à quel point les gens se ferment et disent que cela ne changera jamais, que l’autre ne changera pas. C’est vraiment le déni du souffle, croire que rien ne peut bouger. Quand vous fermez vos portes et vos fenêtres, difficile que l’air passe. Si vous vous exposez, il peut arriver des choses surprenantes.

Vous l’expliquez comment?

Quand on a été écorché dans une relation affective, on décide souvent de ne plus s’investir: on ne m’y reprendra plus.

D’où vient-il?

Il vient d’ailleurs. Je suis de spiritualité chrétienne, mais d’autres pourraient parler du même souffle en appartenant à une autre religion, ou à aucune. Beaucoup de personnes athées ou agnostiques m’assurent qu’elles font des expériences similaires. Ce souffle n’est pas réservé aux chrétiens. Jésus lui-même dit qu’un jour viendra où les vrais adorateurs n’iront pas au temple à Jérusalem mais adoreront «dans un souffle et dans la vérité». N’importe quel être humain peut être traversé: c’est un souffle universel. Personne ne le crée et il peut te prendre à tout moment.

Pourquoi écrivez-vous?

Au début, je n’avais pas imaginé que j’allais publier. J’ai écrit ma thèse de doctorat dans un style aussi accessible que possible. J’ai été très étonnée de l’écho. Il y avait une telle demande, une telle reconnaissance. Je reçois énormément de lettres: des personnes me disent que tel ou tel livre les a sauvées. C’est le souffle d’amour qui fait cela: à travers mon expérience intime, la vie se transmet. Je sens aujourd’hui que je n’ai pas le droit de garder cela pour moi.


 

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