lundi 25 juin 2012

l'egomobile



Ne trouvez-vous pas que la sacro-sainte bagnole est dans notre société, un lieu privilégié pour affirmer son "moi"?

C'est un espace fermé et protégé d'où l'on peut cependant appréhender le monde au travers de vitres, en contact avec l'autre en même temps que séparé, petite bulle concentrée sur le conducteur-possesseur fièrement installé aux commandes, éventuellement entouré de passagers qui, quoique incorporés dans le petit univers du chauffeur se trouvent soumis à sa volonté puisqu'ils ne conduisent pas, la voiture est un véritable ego roulant. Depuis sa position de contrôle (voir à quel point toutes les publicités automobiles insistent sur la notion de "puissance" de "maîtrise", et de "contrôle"), le conducteur se lance agressivement à la rencontre d'un monde "extérieur" censé lui appartenir, être réservé à son usage personnel, et comme tel soumis à son bon plaisir.

L'egomobiliste roule sur "sa" route à lui, au détour de laquelle, il croise un plus ou moins grand nombre d'autres qui, c'est entendu, conduisent "mal" -en tout cas, moins bien que lui- ont l'imprudence de lui bloquer le passage ou de le contraindre à ralentir sa course implacable alors qu'ils ne devraient en fait tout simplement pas se trouver là.

Profitez donc à plein de cet espace privilégié pour vous identifier à votre véhicule, vitrine rutilante de votre auguste moi. A peine monté à bord, laissez vos inhibitions et autres convenances superflues. Vous êtes le maître, dieu de l'asphalte, roi de la route, autant dire de l'univers. Ayez pour premier principe de ne jamais respecter les limitations de vitesse. A pied, il vous faut bien plier aux usages, mais une fois en voiture, vous voilà intouchable, soumis à aucune loi que la vôtre, la seule légitime.

Un autre ose-t-il, le manant, hésiter une seconde avant de tourner à droite, assourdissez-le de votre klaxon, inondez-le d'injures que vous n'auriez jamais le front de prononcer sur un trottoir.


Et si l'impensable se produit, si un faquin a, sur cette autoroute, l'audace de vous dépasser, redépassez-le à la première occasion, histoire de bien lui signifier votre suprématie en même temps que son insondable insignifiance. Garez-vous, minables, et faites place au maître!

Panneaux, limitations de vitesse, pfff...Il est bien entendu que ces limites, certes nécessaires pour les autres, ne s'appliquent pas au chauffeur très spécial que vous êtes et que toute intervention visant à vous les faire respecter constitue un outrage.

En résumé, chaque fois que vous montez en voiture, assurez vous que ce soit bien l'ego qui s'installe au volant, mains crispées et tout entier tendu vers un but qui recule au fur et à mesure que le véhicule avance. Observez bien le code de l'egomobile: collez au train de ceux qui par erreur, vous précèdent; à chaque feu rouge, trépignez, n'ayez de cesse qu'il soit passé au vert; au moindre ralentissement, gesticulez, klaxonnez, manifestez votre déplaisir...


...Chaque trajet deviendra ainsi une occasion d'être emporté et identifié à vos fantasmes de toute puissance.

 Gilles Farcet 
"Manuel de l'anti-sagesse"






 

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